Le roman de la rose

Et sais-tu où demeure Jeunesse qu'apprécient tant bien des femmes et des hommes? Plaisir la garde en sa maison, aussi longtemps qu'elle est en sa saison, et exige que Jeunesse le serve; elle se ferait son esclave, même pour rien. Et elle le fait si volontiers qu'elle le suit à la trace par tous les sentiers, et lui abandonne son corps à discrétion: elle ne voudrait pas vivre sans lui.

Il est insensé, celui qui s'acoquine avec Oiseuse: sa fréquentation est trop périlleuse, elle a trahi et trompé. (...). Si tu as agi de manière insensée, fais en sorte maintenant que la situation soit rétablie et prends garde dorénavant de ne plus croire les conseils qui t'ont faire des folies. heureux le fou qui se corrige! et lorsqu'un jeune homme commet des folies, il ne faut pas s'en étonner (...), car ce traître de Danger a le très vif désir de te faire la guerre: inutile d'en faire l'expérience.

Je suis resté longtemps dans cette situation, jusqu'à ce qu'elle me vît ainsi abattu, la dame, la souveraine protectrice, qui regarde du haut de sa tour. Elle s'appelait Raison. Elle est descendue dès lors de sa tour et s'est dirigée droit sur moi. Elle n'était ni jeune ni chenue, ni trop grande ni trop petite, ni trop maigre ni trop grasse. Les yeux, dans sa tête, brillaient comme deux étoiles, et elle avait sur la tête une couronne, donnant l'impression qu'elle était un personnage de haut rang. A son apparence, à son visage, il était évident qu'elle avait été faite au Paradis, car Nature n'aurait su accomplir une oeuvre d'une perfection si régulière. Sachez, si le livre ne ment, que Dieu la faite de ses propres mains à son image et à sa ressemblance et lui a donné un avantage: d'avoir le pouvoir et le puissance de préserver l'homme de la folie, à condition que sa nature soit telle, qu'il ait foi en elle.

Tout d'abord, dit Amour, je veux et commande que tu renonces sans réticence à Vilenie, si tu ne veux te rendre coupable envers moi; aussi, je maudis et excommunie tous ceux qui aiment Vilenie: c'est Vilenie qui fait les vilains, et pour cela, il n'est pas juste que je l'aime; le vilain est perfide et sans pitié, il ne sait pas servir, il n'a pas d'amitié.

Pour parler brièvement, de toutes les jeunes filles quelles qu'elles soient, laides ou belles, dont l'homme veut conserver l'amour, il doit observer cette recommandation que je fais : […] il faut qu'il donne, à toutes, à entendre qu'il est incapable de se défendre contre elles, tant il est ébahi et subjugué par leur beauté et leur valeur ; il n’existe pas de femme, en effet […], qui ne prend plaisir à entendre louer sa beauté. Si laide qu’on la déclare, il faut que l’homme jure qu’elle est plus belle qu’une fée, et qu’il le fasse avec assurance, car elle l’en croira aisément.

Je veux aimer, quel que soit le résultat, la rose à laquelle je me suis voué : jamais mon cœur ne sera rempli d’un autre désir.

Regardez comme il est gracieux ! […] Il n'y a rien à changer à son physique. Si vous lui accordez le baiser, il sera fort bien employé car il a, j'imagine, une très douce haleine et sa bouche n'est pas vilaine, mais semble être faite exprès pour donner joie et plaisir, car les lèvres sont vermeilles et les dents blanches et si propres qu'on n'y voit ni tartre ni saleté.

Chaque amant suit le feu qui le brûle et le consume, c’est l’habitude […]. Le feu est ce qu’il contemple : c’est-à-dire son amie, qui le fait frire tout entier lorsqu’il se tient au plus près d’elle […] C’est ce que tous savent, même les insensés et les sots : plus on est près du feu, plus on se brûle.

Nombreux sont ceux qui s'imaginent que dans les rêves il n'y a que fables et mensonges.Pourtant, il est possible de faire des rêves qui ne soient pas mensongers, mais qui par la suite se vérifient tout à fait.(...)
Que ceux qui pensent que c'est folie et absurdité de croire qu'un rêve se réalisera, me prennent pour un fou s'ils le veulent: j'ai l'intime conviction que les rêves sont la préfiguration des heurs et des malheurs à venir, car bien des gens rêvent la nuit, de façon détournée, toutes sortes de choses que l'on voit par la suite ouvertement.

Guillaume de Lorris entreprend de raconter un rêve -prophétique puisque l'auteur assure qu'il s'est "vérifié" par la suite- effectué à l'âge significatif de vingt ans.Le songe porte sur une aventure amoureuse: la vision, dans un verger, d'une rose, la naissance du désir et les tentatives faites pour cueillir cette fleur.la fiction du songe, en plus de sa fonction de vérité, définit un certain état de réalité, dans lequel peuvent apparaître des êtres qui ne sont pas de chair et d'os, ni des fantômes ou des visions diaboliques, mais des idées, des valeurs, des mots à qui l'on confère un aspect, un comportement humains et la parole.