Depuis sa crise de panique sur l'autoroute, le jeune homme s'était replié au creux du silence comme un mouchoir au fond d'une poche.
-Elle te manque?
-Pas autant que lorsqu'elle est à côté de moi perdue dans ses pensées.
Antoine plongea un croissant dans son bol/
-Tu devrais l'appeler.
-On n'aura plus rien à se raconter à son retour si je lui téléphone sans cesse.
-Vous les vieux, on dirait que vous avez l'habitude de vous manquer.
C'est le seul moyen qu'on ait trouvé pour continuer à s'aimer.
François connaissait l'irréversible principe d'impertinence pour avoir vu défiler dans son bureau de jeunes stagiaire dissimulant mal l'indifférence avec laquelle ils considéraient leurs tuteurs, convaincus de mieux maîtiriser les outils, confondant efficacité et rapidité, incapables de questionner leurs propres aptitudes, leurs facultés d'implication et d'adaptation. Toute une génération de petits experts , tranchants, plus insupportables que les pontifes d'antan, privés d'un enseignement essentiel : le respect.
- J'ai longtemps cru que j'avais la poisse, gazouilla-t-elle, comme s'il faisait ce temps pourri tous les jours dans ma vie. Et puis j'ai compris que c'était juste ma façon de voir les choses...
Ce gamin était comme un flocon de neige bravant l'obscurité, le trouble grisant de la jeunesse. François pouvait ressentir sa chaleur et s'y égarer, partager avec lui le peu qu'il possédait encore: un passé secret, des gestes...
Elle l'embrassa avec cette réserve particulière qui lui donnait l'allure d'une châtelaine dont on aurait oublié de construire le donjon, une femme si belle qu'elle était capable de laideur, la contradiction inversant l'arc de ses lèvres comme le reflet de la lune s'accroche à la surface d'un étang.
De la cérémonie, Antoine n'avait retenu qu'une image : celle de son grand-père raccourci de vingt centimètres sous le poids du chagrin. Le vieil homme qu'il croyait de granit s'effritait grain après grain. Le départ de mamie avait été plus vertigineux qu'un personnage de jeu virtuel désintégré en plein combat.
Il n'y a aucune limite au mal.
Croire que quelqu'un va surgir et d'un geste mettre un terme au carnage vaut pour l'âme crédule des enfants de chœur.
Quand bien même.
Lorsqu'on entrevoit le diable en exercice, vêtu de rage et de haine, œuvrant à visage découvert, rien ne peut plus nous sauver. pas même l'innocence ou la faim.
Quelque chose le frappait au coeur, déclenchait une colère inouïe. Le souvenir d'une tendresse oubliée, celle d'un abandon dont il ignorait la cause mais dont il portait la faute, rejaillissait en tourbillon.
On commence à vieillir quand on finit d'apprendre. Proverbe nippon.