On dit qu’on ne choisit pas sa famille et je suis totalement d’accord avec cela. Avant qu’on arrive aux États-Unis, tout se passait bien ; notre tribu était parfaite. Je me souviens qu’il ne se passait pas une journée sans que l’on rie aux éclats. C’est fou, les détails dont on peut se rappeler, les moments que l’on choisit de conserver au fond de son cœur et qu’on chérit comme de précieux trésors tout au long de sa vie. Des trésors qui nous aident à tenir bon pendant les moments particulièrement pénibles. Quand ça se passait mal avec Mamina, papa venait nous voir ; il nous prenait dans ses bras et nous parlait dans sa langue pleine de soleil, comme il le faisait pour nous rassurer et aussi pour qu’on n’oublie pas nos racines. Je l’entends encore, sa voix profonde quand il se mettait à nous fredonner « Lapli ka tonbé jòdi-a, dèmen soley ké bryé1». Et il avait raison, les lendemains étaient plus beaux.
On n’était pas une famille dysfonctionnelle, c’était Mamina qui ne « fonctionnait » pas tout à fait comme il aurait fallu. Du coup, c’était souvent tendu entre nous, mais on faisait ce qu’on pouvait pour tenir bon. Parfois, les relations familiales sont un peu comme les voies du Seigneur : impénétrables.
Mon principal problème a toujours été le temps. Depuis toute petite, je n’ai jamais réussi à en avoir ou en trouver assez pour parvenir à faire tout ce que je voulais dans une journée : jouer, aller me balader au bord de l’eau en me racontant des histoires fantastiques, traîner avec mes copains, faire un tour à la marina et regarder les pêcheurs rentrer et déposer les casiers remplis de homards sur les pontons de bois, puis m’asseoir au bord de l’eau pour rêvasser aux lendemains.
On se pardonne pour les choses qu’on n’a pas faites, celles qu’on n’a jamais osé dire, pour les malentendus, les erreurs. On se soigne mutuellement et ça fait le même effet que lorsqu’on se réunit autour d’une tasse de chocolat traditionnel et de pain au beurre : ça fait du bien au corps et à l’âme.
Toute à mes pensées, aveugle et sourde à ce qui se passe autour de moi, quelque chose me percute à grande vitesse et je me retrouve les fesses au sol, le souffle coupé par l’impact. Un peu hébétée, je mets un moment à reprendre mes esprits et essaye de comprendre ce qui vient de se passer.
C’est fou comme certains endroits restent les mêmes, comme figés dans le temps.
Certaines mentalités aussi.