Intrigué et attiré par ce premier roman pour son titre, je dois avouer une très bonne surprise de lecture. D'abord parce que l'histoire m'a agrippé de bout en bout, sans aucune des ficelles narratives de l'intrigue policière à la mode US, jouant de violences sadiques et de rebondissements qui, à force de se vouloir "inattendus", finissent par devenir si attendus.
L'expression qui me vient sous les doigts pour parler de ce roman est "l'air de rien". Il me semble que, "l'air de rien", ce texte est plus profond que la simple histoire de ce petit couple d'anonymes qui, précipités dans une sombre magouille politico-financière, va devoir renverser la table de leurs "petites habitudes", de leurs "petites vies" sans surprises. Ou sans autres surprises que mauvaises.
D'abord le contexte insaisissable de cette "France moche" qui fait la une des magazines sans que jamais on ne s'intéresse à l'envers du décor. Cette France péri-urbaine dont la grisaille symbolise notre modernité désabusée. Cette France moyenne en plein naufrage. Un naufrage long et douloureux qui nourrit les essais et les documentaires mais dont la fiction a du mal à se saisir.
Ensuite un engagement suffisamment entrelacé au récit pour qu'il imprègne les chapitres sans jamais s'étaler comme un slogan. Si le message est sans surprise: l'ouvrage dénonce le rouleau compresseur de l'argent qui écrase tout sur son passage. L'astuce visuelle qui illustre l'effondrement imminent de notre civilisation avec l'image d'un, puis d'un autre, et encore d'un autre ascenseur qui tombe est terriblement efficace. le clin d'oeil à l'expression usée jusqu'à la corde de "l'ascenseur social en panne" est jubilatoire.
Ainsi, "l'air de rien" de nouveau, le roman concentre toutes les tensions de notre temps dans un espace réduit. Un coin de grande banlieue racontée comme une scène où se jouent les petits jeux d'un pouvoir corrompu jusqu'à la moelle, d'une société fracturée, d'une résignation qui flirte avec la dépression, à moins qu'elle n'explose en une colère irrépressible. Cela s'est vu ces derniers mois...
Beaucoup des débats et des litanies des chaines d'information en continu peuvent être utilement zappés par cette petite histoire qui dit beaucoup des racines du mouvement des gilets jaunes.
Et puis encore, entre Antoine et sa soeur, entre Callista et son père... nombre de débats sous-jacents sur le poids de l'héritage social, sur la colonisation des esprits par la pensée économique, sur les mérites comparés de l'action individuelle vs/ l'action collective, sur les insécurités culturelles qui font frémir d'effroi les commentateurs médiatiques... Quelques grands sujets, "l'air de rien".
Mais.
Mais il y a – contre toute attente dans le tableau – une énergie vitale qui déchire la grisaille pour laisser transparaître des rayons d'une lumière éclatante: l'amour naissant de ces deux jeunes êtres entrainés malgré eux dans le tourbillon de la violence des pouvoirs qui entrent en conflits d'intérêts.
Enfin, la musique.
La batterie d'Antoine, le personnage principal, qui donne le tempo de l'écriture, des chapitres et rythme la marche de l'histoire. Enfin, puisque Antoine l'écoute en boucle,
Bruce Springsteen, dont on comprend- l'auteur le revendique explicitement - au fil des pages que lui seul pouvait mettre en vers et en notes cet étrange et bouleversant mélange de l'abnégation amère et du feu de la vie lorsqu'elle déboule comme un riff de rock.