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Critique de Aquilon62


Fermez les yeux et imaginez 

Bienvenue au Centre mondial, "dans la capitale du monde, où convergeraient tous les rayons de la vie scientifique, intellectuelle, physique et spirituelle. Une capitale du monde, bâtie sur un plan largement humain, serait accueillie par des applaudissements universels."

Pour ce faire vous avez trois solutions qui s'offrent à vous :

- la première consulter en ligne le livre, numérisé par la bibliothèque de la Grande Assemblée nationale de Turquie, qui servit de base à leurs initiateurs pour démarcher chefs d'états, mécènes, donateurs et autres idéalistes de cette époque. Dans ce livre vous y retrouverez plans, dessins, croquis, etc.... 

- La seconde vous rendre à Rome au musée Hendrik Christian Andersen situé 20, via Pasquale Stanislao Mancini. le musée est ouvert tous les jours sauf le lundi, de 9 h 30 à 19 h 30. Dernière entrée à 19 h.

- La troisième, vous plonger dans la lecture de ce livre Jean Baptiste Malet qui nous fait magistralement revivre cette aventure inachevée, ce rêve oublié, cette folie rattrapée par la dure réalité de la guerre, ce projet dont il reste de vrais croquis et un vrai livre. Tous les éléments d'un bon roman sont là, mais une fois de plus ce sont parfois les petits faits de l'Histoire qui font les plus belles histoires. 

À l'origine de cette utopie urbaine, deux artistes américains vivant à Rome, Olivia et Hendrik Andersen, ainsi qu'un architecte français, Ernest Hébrard. Dans le sillage des expositions universelles chargées de présenter aux foules Le Progrès moderne, le futur Centre concentrera justement tout ce que l'humanité peut espérer dans un avenir plus ou moins proche : la cité idéale de 26 km2 (environ un quart de la superficie de Paris) accueillera en son sein toutes sortes d'institutions visant à la concorde internationale comme un Palais des gouvernements, une Banque internationale, ainsi que de très nombreux bâtiments dédiés à la Culture physique, à l'Art et à la Science. La Tour du Progrès, haute de 320 m, sera dotée à son sommet d'une installation de télégraphie sans fil « afin d'informer le monde en temps réel des dernières découvertes scientifiques, ainsi que les bureaux de toutes les sociétés qui travaillent au progrès du monde et au bien de l'humanité ».
Les utopies urbaines ont joué un rôle important dans l'histoire de la ville contemporaine, du phalanstère de Charles Fourier jusqu'à la cité-jardin d'Ebenezer Howard. Parmi les projets tombés dans l'oubli figure le Centre mondial de communication appelé à devenir, selon ses concepteurs, la Capitale de l'Humanité. Grâce à un travail d'investigation extrêmement complet mené en Europe comme aux États-Unis et qu'il faut saluer, Jean-Baptiste Malet en fait le récit minutieux jusqu'à la mort du dernier porteur du projet en 1940.

L'auteur nous offre une plongée dans ces années folles qui là pour le coup, reprennent leurs connotations de folies, où tout est permis y compris les rêves les plus fous, y compris celui de créer rien de moins que la Capitale du Monde

Quand on pense utopies urbaines, on pourrait citer pêle-mêle :
- Utopia de Thomas More, priorité à l'inventeur de ce mot, qui a formé un néologisme pour nommer son île qui n'existe pas. En effet ce mot est construit son à partir du grec Topos / Lieu et du préfixe Ou / Non. Littéralement,  non-lieu. Ce mot, qui au fil de l'histoire s'enrichira et sera porteur d'espoir. Pour résumer sur Utopia :
La population est principalement composée d'agriculteurs. L'île regroupe 54 villes identiques. Chacun habite une maison individuelle avec jardin. Il est nécessaire de déménager tous les 10 ans pour ne pas s'habituer à la propriété privée. La vie sociale et culturelle est riche et variée. Il n'est cultivé que le nécessaire pour se nourrir, il n'y a pas d'exportation. La récolte est équitablement répartie entre les différentes communautés de l'île. Les tâches obligatoires représentent 6h dans la journée, le reste du temps est libre. Dans ce monde, l'abondance n'existe pas. L'épargne est inutile. Les vieilles personnes, les malades et les enfants sont pris en charge par la collectivité.

Pour en savoir plus sur Utopia je ne peux que vous conseiller le Dictionnaire des Lieux Imaginaires d'Alberto Manguel 

- le Phalanstère de Charles Fourier : Fourier a un besoin inévitable de toujours tout classer, il veut ranger les hommes dans des catégories bien précises. Il choisit d'organiser les sociétaires du Phalanstère selon leurs passions. Selon lui, trois grandes passions animent les hommes : la composite qui pousse les hommes à s'associer et à coopérer ; la cabaliste qui pousse les hommes à la dispute, à l'intrigue ; et la papillonne qui est le besoin de changer tout le temps. Ces trois passions se décomposent en 12 passions secondes qui elles-mêmes amènent à 144 passions mineures. Avec son Phalanstère, Fourier espère organiser une société dans laquelle ces différentes passions pourront s'harmoniser et ainsi les hommes pourront vivre ensemble sans problème. Les relations entre les sociétaires sont pacifiées puisque chacun peut ici profiter de ses passions. 

- La cité radieuse de le Corbusier qui définit le logis comme le contenant « d'une famille ». Ce contenant peut être inséré non pas dans un immeuble traditionnel mais dans une « ossature portante », conçue comme une structure d'accueil. Le Corbusier va définir une cellule de base. Elle va donner naissance à un ensemble de deux cellules orientées est/ouest et imbriquées autour d'une rue intérieure. Il aboutit ainsi à un système d'étage courant qui s'organise sur trois niveaux. Entre les cellules de chaque côté du bâtiment se trouvent de larges couloirs. Ils sont conçus comme un espace de circulation et de rencontre entre les habitants. Entre le 3e et le 4e étage, un couloir plus grand encore, le déambulatoire, fait face à la mer.  

- la  Cité-Jardin de Ebenezer Howard : Howard veut créer une communauté avec des liens sociaux forts. Il pense que pour cela il faut créer des communautés de petite taille, de maximum 32000 habitants. Selon lui, la grande ville est un facteur de destruction de lien social. Son projet est donc de créer des communautés en autosuffisance alimentaire, industrielle et commerciale. Au sein de ces communautés, on doit retrouver un équilibre entre les travailleurs agricoles, industriels et commerciaux. Howard insiste sur l'importance d'avoir des institutions politiques qui correspondent aux principes de la cité-jardin. Cette nouvelle forme de ville doit associer un centre urbain organisé et une ceinture de fermes et de parcs qui entourent ce centre. Les cités-jardins sont pensées pour fonctionner en réseau avec d'autres cités-jardins identiques reliées entre-elles par un réseau de communication et notamment des voies ferrées. Une fois établi, ce réseau permettra d'en finir avec les métropoles. 

Il me vient également comme une persistante lecture les Villes Invisibles d'Italie Calvino classées en Villes Cachées, en Villes Continues, en Villes et le Ciel, en Villes et les Morts, en Viles et le Nom, en Villes et les Yeux, en Villes et les Échanges, en Villes Élancées, en Villes et les Signes, en Villes et le Désir et en Villes et la Mémoire. 

Mais revenons à cette aventure qu'est Capitale du Monde, que nous présente avec brio l'auteur au travers de cette découverte qu'il fit en ouvrant ce fameux ouvrage :
Une capitale du monde ? En soulevant de grands rabats, je me suis soudain rendu compte que je venais de déplier le plan d'une cité idéale de vingt-six kilomètres carrés, soit environ un quart de la superficie de Paris. Page après page, j'assistai, incrédule, à un feu d'artifice où surgissaient des illustrations de monuments plus gigantesques et splendides les uns que les autres. Palais des gouvernements, Banque internationale, Temple des Arts, Institut international de science, Bibliothèque de référence, École des Beaux-Arts, Institut international des Lettres, Conservatoire de musique, Centre Olympique…
La composition symétrique de cette cité idéale bordée par un canal périphérique s'organisait autour d'un axe reliant sa porte maritime, Les Deux Colosses, à trois grandes zones réservées respectivement à la Culture Physique, à l'Art et à la Science. Avec pour chacune ses édifices les plus exceptionnels : le stade olympique, le Temple des Arts et la Tour du Progrès, point culminant de la ville. "

À cela s'ajoute les palais des congrès, dévolus à la médecine, la chirurgie, l'hygiène, le droit, la criminologie, l'électricité, les inventions, l'agriculture et les transports, étaient tous pourvus de galeries, de bibliothèques, de musées, de bureaux, et décorés de dômes, de tours et de colonnades. Tracé du métropolitain, canaux, réseau de communication par tubes pneumatiques, grandes imprimeries, hôpitaux, sanatorium, aérodrome, cimetière, abattoirs… Les concepteurs de cette cité idéale avaient pensé à tout.

Sauf qu'au gré de leurs pérégrinations pour présenter ce projet outre-atlantique, puis en Europe à Bruxelles, viendra la première guerre mondiale leur chemin les mènerait en Italie, et le projet convergera avec le chemin du dictateur italien de ses architectes et ses urbanistes qui développent un programme sans précédent dans l'histoire de l'architecture : l'E42 (Esposizione 1942). Pour glorifier la « renaissance de Rome » et dévoiler au monde entier le développement accéléré de son pays. 

Mieux vaut garder en mémoire l'épitaphe gravée dans la pierre d'un caveau :
NOTRE RÊVE D'UNE CITÉ POUR TOUTES LES NATIONS DÉDIÉE À L'ESPRIT CRÉATEUR DE DIEU EN L'HOMME ÉTAIT NOTRE ESPOIR ET NOTRE PRIÈRE À LA VIE.
ICI DORMENT LES RÊVEURS.

Et l'on se dit en refermant le livre que ces non-lieux imaginés, ces utopies, existent bel et bien dans la tête de ces rêveurs, et que ces rêves méritent des auteurs comme Jean-Baptiste Malet pour jouer le rôle de passeur...
À croire que ces reveurs ont fait leur ces mots de Saint-Exupery : "Faites que le rêve dévore votre vie afin que la vie ne dévore pas votre rêve."
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