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EAN : 9782290387481
384 pages
J'ai lu (21/02/2024)
4/5   11 notes
Résumé :
Une nuit, à Rome, dans une bibliothèque de livres rares, le journaliste Jean-Baptiste Malet découvre par hasard un ouvrage de 1913 présentant les plans d’une cité colossale appelée à devenir la capitale du monde. Glorifiant la mondialisation des échanges, cette ville promet d’écrire une nouvelle page de l’histoire de l’humanité en réunissant l’élite scientifique, intellectuelle, sportive et spirituelle de toutes les nations. Fasciné par cette utopie, Jean-Baptiste M... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (6) Voir plus Ajouter une critique
Fermez les yeux et imaginez 

Bienvenue au Centre mondial, "dans la capitale du monde, où convergeraient tous les rayons de la vie scientifique, intellectuelle, physique et spirituelle. Une capitale du monde, bâtie sur un plan largement humain, serait accueillie par des applaudissements universels."

Pour ce faire vous avez trois solutions qui s'offrent à vous :

- la première consulter en ligne le livre, numérisé par la bibliothèque de la Grande Assemblée nationale de Turquie, qui servit de base à leurs initiateurs pour démarcher chefs d'états, mécènes, donateurs et autres idéalistes de cette époque. Dans ce livre vous y retrouverez plans, dessins, croquis, etc.... 

- La seconde vous rendre à Rome au musée Hendrik Christian Andersen situé 20, via Pasquale Stanislao Mancini. le musée est ouvert tous les jours sauf le lundi, de 9 h 30 à 19 h 30. Dernière entrée à 19 h.

- La troisième, vous plonger dans la lecture de ce livre Jean Baptiste Malet qui nous fait magistralement revivre cette aventure inachevée, ce rêve oublié, cette folie rattrapée par la dure réalité de la guerre, ce projet dont il reste de vrais croquis et un vrai livre. Tous les éléments d'un bon roman sont là, mais une fois de plus ce sont parfois les petits faits de l'Histoire qui font les plus belles histoires. 

À l'origine de cette utopie urbaine, deux artistes américains vivant à Rome, Olivia et Hendrik Andersen, ainsi qu'un architecte français, Ernest Hébrard. Dans le sillage des expositions universelles chargées de présenter aux foules Le Progrès moderne, le futur Centre concentrera justement tout ce que l'humanité peut espérer dans un avenir plus ou moins proche : la cité idéale de 26 km2 (environ un quart de la superficie de Paris) accueillera en son sein toutes sortes d'institutions visant à la concorde internationale comme un Palais des gouvernements, une Banque internationale, ainsi que de très nombreux bâtiments dédiés à la Culture physique, à l'Art et à la Science. La Tour du Progrès, haute de 320 m, sera dotée à son sommet d'une installation de télégraphie sans fil « afin d'informer le monde en temps réel des dernières découvertes scientifiques, ainsi que les bureaux de toutes les sociétés qui travaillent au progrès du monde et au bien de l'humanité ».
Les utopies urbaines ont joué un rôle important dans l'histoire de la ville contemporaine, du phalanstère de Charles Fourier jusqu'à la cité-jardin d'Ebenezer Howard. Parmi les projets tombés dans l'oubli figure le Centre mondial de communication appelé à devenir, selon ses concepteurs, la Capitale de l'Humanité. Grâce à un travail d'investigation extrêmement complet mené en Europe comme aux États-Unis et qu'il faut saluer, Jean-Baptiste Malet en fait le récit minutieux jusqu'à la mort du dernier porteur du projet en 1940.

L'auteur nous offre une plongée dans ces années folles qui là pour le coup, reprennent leurs connotations de folies, où tout est permis y compris les rêves les plus fous, y compris celui de créer rien de moins que la Capitale du Monde

Quand on pense utopies urbaines, on pourrait citer pêle-mêle :
- Utopia de Thomas More, priorité à l'inventeur de ce mot, qui a formé un néologisme pour nommer son île qui n'existe pas. En effet ce mot est construit son à partir du grec Topos / Lieu et du préfixe Ou / Non. Littéralement,  non-lieu. Ce mot, qui au fil de l'histoire s'enrichira et sera porteur d'espoir. Pour résumer sur Utopia :
La population est principalement composée d'agriculteurs. L'île regroupe 54 villes identiques. Chacun habite une maison individuelle avec jardin. Il est nécessaire de déménager tous les 10 ans pour ne pas s'habituer à la propriété privée. La vie sociale et culturelle est riche et variée. Il n'est cultivé que le nécessaire pour se nourrir, il n'y a pas d'exportation. La récolte est équitablement répartie entre les différentes communautés de l'île. Les tâches obligatoires représentent 6h dans la journée, le reste du temps est libre. Dans ce monde, l'abondance n'existe pas. L'épargne est inutile. Les vieilles personnes, les malades et les enfants sont pris en charge par la collectivité.

Pour en savoir plus sur Utopia je ne peux que vous conseiller le Dictionnaire des Lieux Imaginaires d'Alberto Manguel 

- le Phalanstère de Charles Fourier : Fourier a un besoin inévitable de toujours tout classer, il veut ranger les hommes dans des catégories bien précises. Il choisit d'organiser les sociétaires du Phalanstère selon leurs passions. Selon lui, trois grandes passions animent les hommes : la composite qui pousse les hommes à s'associer et à coopérer ; la cabaliste qui pousse les hommes à la dispute, à l'intrigue ; et la papillonne qui est le besoin de changer tout le temps. Ces trois passions se décomposent en 12 passions secondes qui elles-mêmes amènent à 144 passions mineures. Avec son Phalanstère, Fourier espère organiser une société dans laquelle ces différentes passions pourront s'harmoniser et ainsi les hommes pourront vivre ensemble sans problème. Les relations entre les sociétaires sont pacifiées puisque chacun peut ici profiter de ses passions. 

- La cité radieuse de le Corbusier qui définit le logis comme le contenant « d'une famille ». Ce contenant peut être inséré non pas dans un immeuble traditionnel mais dans une « ossature portante », conçue comme une structure d'accueil. Le Corbusier va définir une cellule de base. Elle va donner naissance à un ensemble de deux cellules orientées est/ouest et imbriquées autour d'une rue intérieure. Il aboutit ainsi à un système d'étage courant qui s'organise sur trois niveaux. Entre les cellules de chaque côté du bâtiment se trouvent de larges couloirs. Ils sont conçus comme un espace de circulation et de rencontre entre les habitants. Entre le 3e et le 4e étage, un couloir plus grand encore, le déambulatoire, fait face à la mer.  

- la  Cité-Jardin de Ebenezer Howard : Howard veut créer une communauté avec des liens sociaux forts. Il pense que pour cela il faut créer des communautés de petite taille, de maximum 32000 habitants. Selon lui, la grande ville est un facteur de destruction de lien social. Son projet est donc de créer des communautés en autosuffisance alimentaire, industrielle et commerciale. Au sein de ces communautés, on doit retrouver un équilibre entre les travailleurs agricoles, industriels et commerciaux. Howard insiste sur l'importance d'avoir des institutions politiques qui correspondent aux principes de la cité-jardin. Cette nouvelle forme de ville doit associer un centre urbain organisé et une ceinture de fermes et de parcs qui entourent ce centre. Les cités-jardins sont pensées pour fonctionner en réseau avec d'autres cités-jardins identiques reliées entre-elles par un réseau de communication et notamment des voies ferrées. Une fois établi, ce réseau permettra d'en finir avec les métropoles. 

Il me vient également comme une persistante lecture les Villes Invisibles d'Italie Calvino classées en Villes Cachées, en Villes Continues, en Villes et le Ciel, en Villes et les Morts, en Viles et le Nom, en Villes et les Yeux, en Villes et les Échanges, en Villes Élancées, en Villes et les Signes, en Villes et le Désir et en Villes et la Mémoire. 

Mais revenons à cette aventure qu'est Capitale du Monde, que nous présente avec brio l'auteur au travers de cette découverte qu'il fit en ouvrant ce fameux ouvrage :
Une capitale du monde ? En soulevant de grands rabats, je me suis soudain rendu compte que je venais de déplier le plan d'une cité idéale de vingt-six kilomètres carrés, soit environ un quart de la superficie de Paris. Page après page, j'assistai, incrédule, à un feu d'artifice où surgissaient des illustrations de monuments plus gigantesques et splendides les uns que les autres. Palais des gouvernements, Banque internationale, Temple des Arts, Institut international de science, Bibliothèque de référence, École des Beaux-Arts, Institut international des Lettres, Conservatoire de musique, Centre Olympique…
La composition symétrique de cette cité idéale bordée par un canal périphérique s'organisait autour d'un axe reliant sa porte maritime, Les Deux Colosses, à trois grandes zones réservées respectivement à la Culture Physique, à l'Art et à la Science. Avec pour chacune ses édifices les plus exceptionnels : le stade olympique, le Temple des Arts et la Tour du Progrès, point culminant de la ville. "

À cela s'ajoute les palais des congrès, dévolus à la médecine, la chirurgie, l'hygiène, le droit, la criminologie, l'électricité, les inventions, l'agriculture et les transports, étaient tous pourvus de galeries, de bibliothèques, de musées, de bureaux, et décorés de dômes, de tours et de colonnades. Tracé du métropolitain, canaux, réseau de communication par tubes pneumatiques, grandes imprimeries, hôpitaux, sanatorium, aérodrome, cimetière, abattoirs… Les concepteurs de cette cité idéale avaient pensé à tout.

Sauf qu'au gré de leurs pérégrinations pour présenter ce projet outre-atlantique, puis en Europe à Bruxelles, viendra la première guerre mondiale leur chemin les mènerait en Italie, et le projet convergera avec le chemin du dictateur italien de ses architectes et ses urbanistes qui développent un programme sans précédent dans l'histoire de l'architecture : l'E42 (Esposizione 1942). Pour glorifier la « renaissance de Rome » et dévoiler au monde entier le développement accéléré de son pays. 

Mieux vaut garder en mémoire l'épitaphe gravée dans la pierre d'un caveau :
NOTRE RÊVE D'UNE CITÉ POUR TOUTES LES NATIONS DÉDIÉE À L'ESPRIT CRÉATEUR DE DIEU EN L'HOMME ÉTAIT NOTRE ESPOIR ET NOTRE PRIÈRE À LA VIE.
ICI DORMENT LES RÊVEURS.

Et l'on se dit en refermant le livre que ces non-lieux imaginés, ces utopies, existent bel et bien dans la tête de ces rêveurs, et que ces rêves méritent des auteurs comme Jean-Baptiste Malet pour jouer le rôle de passeur...
À croire que ces reveurs ont fait leur ces mots de Saint-Exupery : "Faites que le rêve dévore votre vie afin que la vie ne dévore pas votre rêve."
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Lors d'une visite dans le Doubs, à la saline royale d'Arc-et-Senans, je fis connaissance il y a quelques années d'un mariage entre l'architecture et l'utopie. J'ai alors été sensibilisé aux idées de Godin, de Proudhon, de Fourier…concevoir des lieux de vie pour une meilleure humanité.
J'ai longtemps cherché l'ouvrage « l'architecture considérée sous le rapport de l'art, des moeurs et de la législation » entraperçu dans son édition originale lors de ma visite de la saline. Cet ouvrage n'était plus édité jusqu'à il y a quelques années où j'ai pu me le procurer. Très déçu par la qualité de cette édition (voir ma critique) où les plans n'étaient reproduits qu'à petite taille et avec une encre et un papier qui ne les mettaient pas en valeurs, j'ai ressenti de la frustration de ne pouvoir retrouver le génie de cet architecte qui pensait la forme des bâtiments en lien avec leur fonction, qui pensait leur positionnement dans le but de donner à chaque homme sa place, égale à celle des autres. L'imagination d'une sorte de cité idéale…

Puis, je tombe par hasard sur « La capitale de l'humanité » de Jean-Baptiste Malet. Un ouvrage qui raconte l'histoire de trois artistes, Olivia Andersen (la tête pensante spirituelle du projet, inspirée par son défunt mari), Henrick Andersen (son beau-frère sculpteur, auteur officiel du projet), tous deux perchés et Ernest Hébrard (architecte urbaniste, celui qui se charge de réaliser les plans) les pied bien sur terre. Ils ont travaillé à la conception d'une capitale mondiale appelée « Centre mondial de communication ». J'y vois l'occasion de faire passer ma frustration à la lecture de ce livre qui reprend l'idée d'un mariage entre utopie et architecture.

J-B.Malet a une écriture fluide. L'ouvrage est découpé en 15 chapitres, eux-mêmes découpés en sous-chapitres (environ une dizaine par chapitre). Quelques-uns décrivent l'enquête de l'auteur, et nous plonge avec lui dans son parcours, un peu comme on suivrait un Antoine de Maximy ou un Jérôme Pitorin dans ses pérégrinations. Quelques autres décrivent le contexte socio-économico-politique de l'époque où son enquête l'emmène. Enfin, la plupart décrivent l'avancée du projet et l'histoire des protagonistes, notamment grâce au journal intime fourni d'Olivia Andersen.

Me sentant idéaliste, utopiste, pacifiste, intéressé par l'architecture et l'urbanisme mais aussi naïf et un peu mégalo déconnecté de la réalité, je me suis totalement reconnu dans le duo Andersen et je n'ai pu m'empêcher de me demander qu'est ce qui fait de nous des idéalistes : notre enfance ?
Ils ont fait un rêve et je le fais un peu avec eux.

Avec cet ouvrage, projeté en début de XXe siècle, à la « belle époque », j'ai participé un peu à ce rendez-vous des visionnaires, des rêveurs idéalistes. Une époque révolue où on croyait à la science et au progrès…au pacifisme et au collectivisme (qui a pris depuis une connotation bien trop péjorative à mon goût). J'imagine, comme pour l'incroyable histoire du facteur Cheval, qu'un film pourrait découler de cet épisode méconnu de notre histoire humaine.
J'ai regretté toutefois dans cet ouvrage de ne pas avoir plus de documents. On nous parle d'un foisonnement de plans, de gravures mais l'ouvrage n'en fournit que très peu. Je suis resté sur ma faim, d'où ma note mitigée pour cet ouvrage.


Plus d'un siècle plus tard, il semble que nous en soyons toujours au même point. Alors que le sentiment d'appartenance à l'humanité devrait primer sur les nationalismes et patriotismes à la c* pour faire face aux enjeux qui se posent à l'humanité toute entière, aujourd'hui, des discours aux bonnes volontés de tous les pays « unissez-vous » , on substitue des « divisez-vous ! », comme des relents remués par des trumps, des poutines, des mileis, des relents de la préhistoire où, pénuries obligent, chaque tribu considérait les autres comme ennemis. Pourquoi faut-il que les humains choisissent si souvent leurs leaders parmi les plus arriérés ?
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« La capitale de l'humanité » de Jean-Baptiste Malet est un documentaire très complet sur un projet à la fois artistique, architectural et social conçu à l'aube de XXème siècle. C'est un livre captivant et sidérant. Pourtant, l'auteur nous prévient avant même de commencer la lecture : il est journaliste et auteur d'enquêtes au long cours et ce texte n'est pas une oeuvre de fiction.

C'est un sujet atypique que l'auteur prend comme centre de son documentaire. Je n'avais, pour ma part, jamais entendu parler d'un quelconque centre mondial de communication et encore moins en lien avec des périodes très connues de l'Histoire. Si le livre n'avait pas été classé dans le genre des documents, j'aurais tout simplement cru à un roman imaginaire en lisant le résumé. C'est donc ce côté « incroyable » du livre qui m'a beaucoup attiré à la lecture.

L'histoire est construite autour de la vie des protagonistes. On les suit depuis leur début pour comprendre l'ensemble des éléments qui ont pu les influencer vers l'élaboration d'un projet aussi fou. Puisque si le sujet principal du documentaire est la construction d'une ville qui serait la capitale du monde, le questionnement s'oriente dès le début du livre sur la raison qui a pu pousser à envisager tout cela et de manière aussi détaillée. L'épopée nous paraît presque naturelle et sensée quand on la découvre au travers de l'évolution des personnes qui en sont à l'origine.

Ce livre, c'est aussi une petite histoire de l'art cachée dans la grande. L'auteur part d'un sujet qui peut paraître une anecdote par rapport au contexte dans lequel il prend place. Au centre du livre, il est cependant passionnant. D'autant plus qu'on perçoit tout le travail derrière le texte. L'histoire est d'autant plus dure à raconter que les traces étaient ténues et dispersées. Il y a donc un engagement énorme de l'auteur dans cette enquête.

Loin d'être élitiste, le livre fait tous les rappels historiques nécessaires pour bien comprendre le contexte dans lequel se vit l'histoire de tous les protagonistes. On a des informations dans tous les domaines : sociologique, urbanistique, archéologique … Beaucoup d'anecdotes supplémentaires ponctuent ce récit déjà riche et foisonnant.


Ce livre est donc un exploit pour lequel l'auteur avait lui-même du mal à croire au début de son enquête. C'est un carnet d'histoire de la Belle époque. Ce projet fou de capitale mondiale s'insère parfaitement dans les idéaux de cette période : expositions universelles, début de la mondialisation, mouvement pacifiste … Un très bon moyen d'en apprendre davantage sur cette époque … et de redonner vie au musée Hendrik Christian Andersen.
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Jean-baptiste Malet (auteur de "l'empire de l'or rouge") retrace la genése et la construction d'un projet titanesque : l'élaboration d'une cité 'le centre mondial de communication' qui a pour ambition (excusez du peu) d'une part, d'être la capitale du monde et d'autre part, de le pacifier.
Une enquête captivante sur une cité oubliée, sorte de 'nouvelle Atlantide', qui n'a jamais existé. Jean-baptiste Malet expose un récit puissant sur la difficulté de rendre réalisable et opérante une utopie pacifiste confrontée aux impératifs du réel. C'est à travers la psyché de ses fondateurs que se déploie l'architecture dudit projet. Et c'est peut être là que réside toute la beauté du livre. En effet, on découvre le destin incroyable et tragique qui unit trois personnages talentueux et charismatique (Hendrik Anderson, sculpteur, Olivia Cushing, dramaturge et Ernest Hébrard, architecte). Une enquête très réussie qui mêle la grande et la petite histoire avec brio.
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Extraits de l'article de Libération : «La Capitale de l'humanité», une cité laissée en plans

Au début du XXe siècle, un projet urbanistique fou, le Centre des communications, a failli voir le jour. Ville-monstre, ville-monde, cette cité idéale, pensée par le sculpteur américain Henrik Andersen, l'auteure américaine Olivia Andersen et l'architecte français Ernest Hébrard, n'est restée qu'une utopie. Fresque littéraire d'une envergure quasi aussi démesurée que le projet qu'il dépeint, la Capitale de l'Humanité décrit avec la rigueur du document (mais la dramaturgie d'un roman) l'élaboration minutieuse de cette cité, aujourd'hui complètement oubliée. (...)

De cette cité, imaginée comme l'aboutissement de la pensée d'Hendrik Andersen, il ne reste plus aujourd'hui que des plans, des notes et des livres que Jean-Baptiste Malet va découvrir et déplier un à un, ébloui autant qu'amusé par autant de folie rationnelle. (...)

Le lecteur s'étonne, sourit, se désole. Mais la force de Jean-Baptiste Malet est de ne jamais juger ses personnages, au contraire. Et cette tendresse fait qu'à force, on s'attache à ces doux dingues. Il cherche à comprendre leurs motivations profondes, en puisant régulièrement du côté biographique et psychologique. le récit est habilement construit en escargot, entre annonce d'un rebondissement, retour historique pour l'expliquer puis avancée chronologique par-delà l'événement pour en faire résonner la portée au-delà de l'anecdote, jusqu'au prochain noeud dramatique. Un vrai page-turner. (...)

C'est finalement l'histoire elle-même qui se chargera d'arrêter «les rêveurs», nom indiqué sur la sépulture du cimetière du Testaccio où la petite troupe est réunie dans la mort. Quand la guerre éclate, tous leurs projets disparaissent avec la violence qui s'abat sur le monde : «Par une cruelle ironie de l'histoire, ces camps sordides clôturés de barbelés ont réalisé par la coercition l'un des objectifs du Centre mondial de communication : réunir en un même lieu des hommes du monde entier», écrit Jean-Baptiste Malet. Ainsi se termine cette cité maculée d'hybris du Centre mondial : des plans roulés dans une vieille maison romaine ; des sculptures recouvertes d'un drap puis redécouvertes près de cent ans plus tard ; un petit musée visité par de rares curieux ; mais surtout un grand livre, qui redonne à cet astre mort l'éclairage effrayant qu'il mérite.
Lien : https://www.liberation.fr/cu..
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critiques presse (1)
LeMonde
04 janvier 2023
« Propre » de l’homme, passage de la nature à la culture, vulnérabilité, démesure, héroïsme, dépassement des vieilles limites de genre : tour d’horizon des mutations et des permanences de l’humanité, cette énigme jamais résolue et qui demeure indépassable.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
À l’automne 2014, au terme d’un voyage d’un millier de kilomètres au guidon de ma 125 cm3, j’étais venu vivre à Rome dans l’intention d’apprendre l’italien. Sur place, en échange d’un travail bénévole dans une bibliothèque patrimoniale, les prêtres de la communauté de Saint-Louis-des-Français m’offrirent leur hospitalité dans un vieux palais ecclésiastique pourvu d’un cloître, d’un grand escalier de marbre et de longs couloirs décorés de portraits de prélats. Avec ses murs tapissés de vieilles reliures, son odeur de papier, sa grande table de lecture en bois et ses fenêtres qui donnaient sur le dôme de l’église Sainte-Agnès-en-Agone de la place Navone, la bibliothèque du palais Saint-Louis semblait tirée d’un roman d’aventures. Incunables, herbiers de la Renaissance, partitions de musique baroque, cartes du Royaume de France, édition originale de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert… Ce cabinet de raretés abritait des trésors. J’avais pour mission d’établir un inventaire informatique de ses collections. Je pris l’habitude de m’y consacrer quelques heures chaque soir. Et c’est ainsi qu’une nuit, j’accostai fortuitement en Utopie.

J’étais en train de ranger des ouvrages lorsque quelque chose se mit soudain à briller sur une étagère. Une étincelle, fugace comme un éclat de soleil sur la mer. Le reflet provenait de la dorure d’un grand livre. Je m’approchai. Il portait le titre Un Centre mondial, gravé en lettres d’or au-dessus d’un flambeau énigmatique. Intrigué, je pris cet ouvrage mystérieux et le déposai délicatement sur la table de lecture.

En soulevant son épaisse couverture, un rivage m’apparut. Au premier plan d’une gravure, deux colosses. Une femme et un homme se donnaient la main par-dessus les flots. Avec leurs bras immenses, ils formaient une arche démesurée. De l’autre main, ils brandissaient un flambeau pareil à celui de La Liberté éclairant le monde d’Auguste Bartholdi, la célèbre « statue de la Liberté ». Des voiliers naviguaient entre leurs piédestaux, et à l’arrière-plan s’étirait une cité parfaitement ordonnée. Au centre, une large avenue menait à un gratte-ciel. « Paix, Beaux-Arts, Science, Religion, Industrie, Commerce », lisait-on dans le cartouche aux côtés d’un globe terrestre ailé ceint de rameaux d’olivier.

(INCIPIT)
 
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Remonter aux sources des idées d’Olivia implique d’ouvrir de vieux livres poussiéreux, de déplier des journaux jaunis et d’exhumer un événement oublié. Les Expositions universelles de la fin du XIXe siècle évoquent des foules célébrant l’internationalisme, les arts, le progrès technique et les inventions révolutionnaires. Mais qui se souvient encore que, du 11 mai au 27 septembre 1893, lors de l’Exposition universelle de Chicago, en marge des stands présentant un lave-vaisselle électrique, une bombe à spray, et des canons d’artillerie de la firme Krupp, s’est tenu le premier Parlement mondial des religions ?
Pasteurs protestants, moines hindouistes venus d’Inde, occidentaux convertis à l’islam, missionnaires bouddhistes, prêtres catholiques, rabbins, évêques orthodoxes, délégués des sectes les plus diverses, figures de proue de la Société théosophique : en même temps que se tenait la grande foire industrielle, des représentants de toutes les religions occidentales, orientales et asiatiques se sont relayés à la tribune afin de prôner « l’unité prochaine de l’humanité, au service de Dieu et de l’Homme ».
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La première guerre mondiale n’a pas seulement ruiné l’Europe et tué plus de dix-huit millions de personnes, elle a également contribué à ensevelir la mémoire du pacifisme en suscitant l’illusion, parmi nos contemporains, que le début du XXe siècle n’aurait été qu’une sorte d’avant-guerre permanente. Pour expliquer cet anachronisme, des historiens avancent le fait que leurs confrères ont été davantage enclins à étudier les processus ayant mené les empires vers la conflagration générale, que ceux qui permirent de l’empêcher au cours des crises internationales antérieures.
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Le capitalisme dominait maintenant l'ensemble du monde connu, et, dans le sillage du grand marché promu par les libres-échangistes, les libéraux religieux rêvaient de la fusion planétaire des spiritualités. Une nouvelle « religion universelle », que ses promoteurs se représentaient sous la forme d'un grand marché mondial de la foi, au sein duquel chaque individu pourrait assembler à sa guise des concepts tirés de la tradition, de manière à « révéler sa conscience ». Une fois cette conscience individuelle révélée à elle-même, les libéraux religieux espéraient qu'elle s'agrège aux autres esprits du monde en un vaste « réseau de consciences » œuvrant au progrès de l'humanité, tant matériel que spirituel. Ce « réseau de consciences », le prêtre jésuite, géologue, paléontologue, théologien, philosophe et théoricien de l'évolution Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955) y a réfléchi tout au long de sa vie. Par analogie avec la biosphère, le père Teilhard l'a appelé la « noosphère ». Ce néologisme signifiant littéralement « esprit-sphère » désigne une « pellicule de pensée enveloppant la Terre, formée des communications humaines ». Grâce à « l'étonnant système des routes terrestres, marines et aériennes, de voies postales, de fils, de câbles, de pulsations éthérées qui enserrent chaque jour davantage la face de la Terre », le père Teilhard voyait se constituer « un véritable système nerveux de l'Humanité ». Selon lui, le monde serait instable, inachevé, et l'humanité aurait besoin d'un «Centre premier et suprême, un oméga, en qui se relient toutes les fibres, les fils, les génératrices de l'Univers ».

Dans son œuvre, le père Teilhard prophétise le fait que l'humanité atteindrait au terme de son histoire, par la « convergence des consciences » en une vaste union spirituelle, un point nommé «oméga ». Fruit d'une vision prophétique du développement des communications et de ce qu'il appelait la « planétisation », ce point « oméga » désigne ultime du genre humain. Celui de la résurrection spirituelle de l'humanité.
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À Paris, au tournant du XIX et du xx° siècle, de grandes affaires comme le "scandale de Panama" révèlent une corruption généralisée des journalistes et des patrons de presse soumis aux banques et aux grandes entreprises industrielles. En Amérique du Nord comme en Europe, la frontière entre le journalisme et la publicité est ténue : n'importe qui peut soudoyer des journalistes afin de commander des articles complaisants. Pour vanter un placement financier, discréditer un adversaire politique, faire la promotion d'une cause, d'un livre, d'un spectacle ou d'un remède de charlatan, il suffit de solliciter un plumitif accommodant, de négocier la longueur. la tonalité générale et le prix de l'article, puis de lui remettre discrètement une enveloppe gonflée de billets de banque.

Ceux qui ont quelque chose à promouvoir ou à déprécier achètent communément des articles de presse. S'ils ne s'en vantent pas ouvertement, ces transactions leur semblent aussi banales que le sont pour nous, aujourd'hui, les pratiques publicitaires agressives des grandes plateformes de réseaux sociaux ou d'hébergement de vidéos en ligne. De la même manière qu'il est actuellement possible à n'importe qui, pour peu qu'il puisse payer, de promouvoir n'importe quoi auprès de larges audiences d'internautes, la presse du début du xx siècle permet à tous ceux qui le souhaitent d'acheter de vastes campagnes d'influence.
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Videos de Jean-Baptiste Malet (5) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Jean-Baptiste Malet
Jean-Baptiste Malet vous présente son ouvrage "La Capitale de l'Humanité" aux éditions Bouquins.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2585762/jean-baptiste-malet-la-capitale-de-l-humanite-recit
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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