Nous autres lecteurs amoureux de la littérature, pour qui les livres sont terres d'asile, nous savons bien que ces décors de romans, ces lieux dits fictifs, ces pays prétendument imaginaires sont des terres habitables offertes sans passeport ni bagages à nos souvenirs, à nos émotions et à nos rêves. Contrées encore inexplorées ou rivages déjà tant de fois parcourus, ces lieux de mots et de papier nous habitent autant que nous les habitons : ils sont les repères intimes de nos vies, les références secrètes de nos mémoires. Ils nourrissent le terreau de nos imaginaires et disent souvent de nous ce que nous sommes en profondeur.
En compagnie d'
Alberto Manguel - grand défenseur des livres, de la lecture et des bibliothèques -, et de son complice
Gianni Guadalupi, je suis revenue à Babel feuilleter avec gourmandise ses innombrables volumes ; sur le Rivage des Syrtes, j'ai attendu avec Aldo l'inévitable déferlement des barbares du Farghestan ; en Terre du Milieu, j'ai cheminé avec les Hobbits, les Elfes et les Nains ; et dans les landes du manoir des Baskerville, j'ai senti le souffle fiévreux d'un chien de cauchemar et de haine ; une petite visite au Château des Pucelles, un détour par l'Atlantide de
Platon, une incursion avec Gulliver au pays de Lilliput, au Pays des Merveilles une tasse de thé partagée avec Alice … que de périples, que de frissons, que de délices…
Me reste encore la perspective de tant et tant d'autres voyages à accomplir, en week-end, en croisière ou en villégiature, visites de quelques heures, à l'improviste, au débotté, traversées au long cours préparées avec soin, longuement anticipées, par avance balisées… Que de portes à pousser, de frontières à franchir, de territoires à explorer, et que de découvertes à faire encore grâce à ce «
Dictionnaire des lieux imaginaires », que de rencontres, que de richesses !
Car
Alberto Manguel nous offre ici un véritable panorama de la littérature à travers les âges, à travers les genres et les styles, tout au long des cinq cent cinquante pages de ce formidable dictionnaire enrichi de cartes, de gravures et de deux index (auteurs et oeuvres), où chacun de ces lieux imaginaires est minutieusement décrit, avec la topographie de ses paysages, les moeurs, les croyances et la culture de ses habitants, les régimes politiques et les ressorts économiques, ainsi que les codes et les lois en vigueur dans leur monde.
Ce guide de voyage de l'imaginaire, unique en son genre, me semble-t-il, et qui témoigne d'une exceptionnelle connaissance des oeuvres de la littérature mondiale, est un vade-mecum, un GPS de papier à lire par bribes, par passages entiers ou à consulter ponctuellement au gré de ses envies. Il n'est pas exhaustif et il ne peut pas l'être - nulle trace, par exemple, de la Montagne magique ou des univers proustiens -, mais il aborde la littérature dans son ensemble et sans exclusive, et s'y côtoient avec un bel entrain
Platon et
Lovecraft,
Thomas More et
Edgar Poe,
Homère et
Ursula le Guin, sans aucun parti pris, sans différence ni hiérarchie entre littérature dite « noble » et « mauvais genres »… ce qui n'est pas si fréquent.
Un ouvrage de référence, un incontournable et un vrai bonheur de lecture. A découvrir absolument, et à picorer sans modération !