Ce petit livre, d'à peine 110 pages, m'a fait de l'oeil sur un présentoir alors que je sortais, un peu pressé, de la bibliothèque. le titre, la couverture, l'épaisseur en faisait le candidat idéal pour nourrir mes déplacements en train. Et puis je l'ai oublié dans mon sac. Il est réapparu il y a quelques jours. Intrigant. Je n'ai pas su lui résister.
Dès les premières lignes, j'ai su que ce serait une lecture différente, dérangeante et en même temps addictive. Ce fut une claque ! Non pas que l'écriture soit violente ou revendicatrice. Non, non, ce fut une claque douce. de celle qui marque durablement l'esprit et le coeur.
Ce livre est paradoxal et j'ai bien de la peine à le décrire. Une effroyable aquarelle poétique. Ce sont ces trois mots qui me viennent à l'esprit. Effroyable parce que le sujet est la déshumanisation qu'entraîne la torture. Celle du supplicié, celle du bourreau, celle des témoins. Cet effacement de toute humanité, de toute compassion est formidablement rendu par
Emilienne Malfatto. Et en même temps vacille au fond de chacun cette petite flamme fragile, cette nostalgie d'humanité.
Aquarelle car nous sommes en présence d'une écriture très graphique. Tout au long du roman, on a l'impression oppressante de vivre dans ce décor monochrome où jamais ne cesse la pluie, où tout perd de sa consistance y compris le temps, où tout n'est ni noir, ni blanc mais camaïeu de gris.
Poétique car si la torture est omniprésente, l'écriture est un délice qui valse entre la folie, la pudeur, le détachement, la froideur… La souffrance est mise à distance. L'inavouable, l'inexprimable se cache dans les mots. Un vrai tour de force.
Et pourtant, j'en suis resté à trois étoiles. Ce livre est un ovni et je ne suis pas certain de pouvoir en conseiller la lecture. Il fait partie de ces ouvrages qu'il faut « rencontrer » personnellement. Je ne suis pas sûr non plus, de revenir à cette lecture. J'aurai trop peur d'en briser cette première impression si admirablement dérangeante.
En conclusion : voici un très beau roman sur le poids de la culpabilité qui ronge et détruit l'Homme dans ce qu'il a de plus précieux : la compassion. A ce titre, ce livre doit interroger notre monde si férocement individualiste.
Une chose m'a manqué. le personnage principal espère la délivrance et le sommeil de la mort mais il n'espère même plus la rédemption… c'est là encore malheureusement une peinture assez fidèle de notre monde.