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EAN : 9782290390160
160 pages
J'ai lu (06/03/2024)
  Existe en édition audio
3.72/5   375 notes
Résumé :
Dans une grande ville d'un pays en guerre, un spécialiste de l'interrogatoire accomplit chaque jour son implacable office. La nuit, le colonel ne dort pas. Une armée de fantômes, ses victimes, a pris possession de ses songes. Dehors, il pleut sans cesse. La Ville et les hommes se confondent dans un paysage brouillé, un peu comme un rêve - ou un cauchemar. Des ombres se tutoient, trois hommes en perdition se répondent. Le colonel, tortionnaire torturé. L'ordonnance, ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (112) Voir plus Ajouter une critique
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sur 375 notes
Probablement l'Irak.
Malfatto ici nous esquisse un personnage de colonel qui arrive pour diriger une Section spéciale des troupes du nord et de la Reconquête, après la chute du Dictateur .
Qui sont ces troupes et qui est ce colonel ? Il a servi loyalement l'ancien régime, alors qu'est-ce-qu'il fait ici en mission spéciale, sur les vestiges de l'ancien régime ? C'est le “spécialiste”. Il survécut au changement de régime, aux purge, aux procès , parce qu'on ne pouvait pas se passer de son talent …”.
Très peu de mots, quelques pages on est déjà au coeur du sujet. Car si on a déjà lu les deux premiers livres de l'écrivaine et on sait qu'elle a travaillé comme journaliste et photographe dans les lieux où ils se passent, et on repère les indices qu'elle sème dans le texte ( « La Longue Guerre » faisant probablement référence à la guerre Iran-Irak) , on est déjà dans le bain, du moins je le suis 😊.
«  le colonel a oublié le moment exact où il a cessé de dormir. ».
L'homme est condamné à perpétuité. le juge qui a signé sa condamnation n'est autre que sa propre conscience écrasée sous le poids de ses crimes. Que faire ? Arrêter ? Mais il ne sait que faire cela , «  était-ce inscrit dans sa destinée » ?
Malfatto donne un aperçu concis mais profond , auréolé d'une poésie infinie adoucissant l'image brute, de ces hommes appelés criminels de guerre, qui obéissent aux ordres les yeux fermés et semblent dépourvus de conscience . Tuer, torturer, faire du mal semblent le lot de leur quotidien, pourtant chez quelques uns apparemment subsiste un lambeau d'âme, et c'est ce lambeau qui empêche le colonel de dormir. Éveillé, il rêve de ses crimes,
« ta présence glacée dans mon lit où les
couvertures
sont trop courtes
pour
nous tous …
vous mes victimes et moi ça fait
beaucoup de monde
pour une seule couverture »
Et pourtant continue son “travail”, et en parlant de ce « travail », Malfatto nous écorche l'âme avec les réflexions du colonel sur le fond de la nature humaine, les pensées et peurs de son ordonnance qui craint qu'il n'y aurait pas de comme avant. Car le “travail” s'agit de tirer des renseignements d'un être humain qu'il coupe, taille et sectionne…..Un être humain nommé simplement “la chose”, un mot qui définit à lui seul la nature du “travail”. Lisant beaucoup de littérature de cette partie du monde et sud-américaine je suis familière avec ce «  travail » donc du déjà maintes fois lu, pourtant les mots de Malfatto me sont allés droit au coeur. Photographe elle se manifeste avec les couleurs où dans cette atmosphère de combats et de tueries le monde devient de plus en plus monochrome , uniformément gris, seul de l'ordonnance et «  des choses » semblent se détacher quelques couleurs, des joues rosées au matin, et pour les « choses » ,parfois du rouge, du bleu, du jaune éclater de leurs visages détruits, terrible mais sublime ! Récemment un ami babeliote demandait si on lisait pour le fond ou la forme, qui pour moi vont de paire, mais les fonds étant souvent des sujets déjà traités, c'est la qualité et l'originalité de la forme qui devient déterminante, et c'est le cas ici. La littérature est un moyen pour éclairer le côté invisible de la réalité, « le côté émotionnel ou psychologique, parfois moral, des éléments historiques et sociaux qu'on ne peut pas atteindre autrement » dit Juan Gabriel Vasquez. Et c'est le tour de force que réussit ici Malfatto avec ce magnifique texte où l'amalgame du visuel et de l'émotionnel englouti dans une brume monochrome d'un pays de pluie où les hommes se dissolvent lentement, nous plonge dans l'absurdité de la vie et de ses conflits perdue dans le temps et l'espace. Magnifique ! Écrivaine , poète et photographe hors pair elle m'a encore une fois subjuguée avec ce troisième roman, quel talent cette femme !


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A quoi sert la poésie ? de nombreuses personnes ici sur Babélio pourraient apporter de l'eau au moulin de cette vaste question un brin provocante…Sonatem, GeraldineB, Coco4649, Pasoa, laFilledePassage, Marina53, Sabine59, Nemorino, Babounette, Aléatoire, entre autres, nous offrent avec constance des extraits poétiques choisis pour notre plus grand bonheur…L'utilité de la poésie est-elle de nous permettre de rêver, de mettre en valeur la beauté du monde, d'un paysage, d'un quotidien, de nous rendre plus humain en exprimant d'une manière spécifique des sentiments, des sensations, de proposer une autre manière d'habiter le monde ?
De ne servir à rien, surtout à rien, pas de fonction utilitariste, elle se contente d'être là, d'être belle, surprenante, libre simplement, jouant avec les mots et les images, simple fonction esthétique, voire ludique ?
Mais la poésie, en vers ou en prose, peut également être une arme au service d'une cause. Elle est alors percutante et redoutable, tranchante, faisant passer un message fort avec beauté et grâce. Avec élégance et humanité. Cette façon de faire marque davantage les esprits car le contenu est en total décalage avec le contenant. Je l'avais perçu avec émotion, par exemple, en lisant le magnifique livre « Soleil à coudre » du haïtien Jean d'Amérique, récit poétique d'une beauté à couper le souffle relatant la misère des bidonvilles et leur violence. Ce récit est ancré en moi et il m'est d'avis qu'il n'aurait pas eu la même force si Jean d'Amérique avait simplement raconter une histoire de manière plus prosaïque.


Emilienne Malfatto frappe encore plus fort. C'est un uppercut qui m'a mise KO. Mais quel talent et quelle audace déjà repérée dans « Que sur toi se lamente le Tigre » ! Elle associe en effet ici la poésie à…la torture. Oui, la torture, celle pratiquée en temps de guerre. On comprend alors véritablement que sans la poésie, il n'y a pas de mots supportables, pas de descriptions supportables…pas de vie supportable.
Elle se met dans la tête d'un colonel dont « le travail » est de soutirer des informations aux prisonniers et qui, la nuit, est visité par tous ces fantômes dont il est l'artisan. Alors le tortionnaire devient le torturé. le colonel ne dort plus, entre la vie et la mort, il devient gris, ses contours s'effacent peu à peu, il n'a plus de lumière au fond des yeux. « Seul son béret rouge rappelle que les couleurs n'ont pas disparu ». le sang aussi…
Un criminel de guerre hanté par ses crimes qui fait peur au Général et même à son ordonnance, jeune assistant servile, qui est présent avec lui lors de « son travail » dans les sous-sols, à l'ombre, en dehors du cercle de lumière où le colonel officie. Un criminel de guerre condamné à perpétuité par sa propre conscience où les martyrs sont devenus ses bourreaux.

« C'est un peu comme
Une forme de torture très lente
Et très raffinée
Le tortionnaire torturé
De sa propre main
Le persécuteur persécuté
Chaque jour dans la pièce du sous-sol
Je regarde l'homme dans le cercle de lumière
Dans cette lumière trop crue qui me brûle les yeux
A moi qui n'ai plus droit à
La lumière
Je regarde cet homme
Cette nouvelle recrue
Cet homme qui va devenir mon ombre
Qui va alourdir mon ombre sur mes pas
C'est fou ce que c'est lourd une ombre
On ne le croirait pas… ».

Le colonel est là pour diriger une Section spéciale des troupes du nord et de la Reconquête, après la chute du Dictateur. On ne sait pas de quel pays il s'agit, nous savons juste que c'est un pays sans soleil dans lequel il ne cesse de pleuvoir, un pays gris semblable à l'âme du colonel. Cela rend le récit totalement universel et atemporel. Emilienne Malfatto a travaillé comme photojournaliste et photographe documentaire indépendante dans les zones de guerre et de tensions. Elle sait de quoi elle parle, elle sait dire beaucoup avec peu, elle sait qu'un cliché marque durablement les esprits et fait passer un message clair. Elle a su précisément utiliser ses compétences de photographe dans ses récits. A l'image du choc des photos, elle écrit un récit où le poids des mots nous offre des images saisissantes d'effroi…

« le colonel pense souvent que la nature humaine se révèle dans ces instants de nudité absolue, quand l'homme est précisément dépouillé de toutes les minces couches de vernis – appelez ça l'éducation, la sociabilité, ou l'amour, ou l'amitié – qui recouvrent sa nature profonde, homo sanguinolis, sa nature animale, viscérale, quand l'homme n'est plus qu'une masse organique. Arrachez la peau d'un homme et vous aurez une forme sanguinolente, vermeille, une forme cochenille écrasée pas si différente d'un chien écorché, se dit parfois le colonel ».

Le colonel est un « spécialiste » dont on ne peut se passer du talent, un « virtuose » de la torture, et, malgré le changement de régime, il est encore là, sur les décombres de la dictature qu'il a pourtant servie avec zèle, ultra-compétent en la matière. Et je frémis en pensant à ce talent, et me vient une pensée plus qu'émue à tous les hommes-poissons, ces hommes noyés, à tous ces hommes coupés, tailladés, sectionnés, à tous ces hommes dépecés, de toutes les guerres, dont la souffrance extrême les transforme en choses…et pourtant le regard de certains arrivent à rester digne, profond, presque serein, deux puits d'humanité absolue lorsqu'il ne reste plus que l'âme, inatteignable…
L'auteure nous écorche la nôtre, d'âme, nous asphyxie, avec les actes et les pensées du colonel mais aussi celles du général qui s'enferme dans son bureau pour d'interminables parties d'échecs en solitaire et surtout celles de l'ordonnance qui récite dans sa tête les lettres de sa mère pour prendre de la distance face au spectacle terrifiant qui se joue dans le cercle de lumière.

La poésie d'Emilienne Malfatto est grise, monochrome, à l'image de l'aquarelle sur la couverture du livre. Brumeuse mais claire, la lumière y est déformée, il y règne une atmosphère de bocal, « quelque chose d'irisé et d'opaque à la fois, la sensation de voir le monde à travers une flaque d'essence ». L'auteure dit sans tourner autour du pot, avec délicatesse, avec beauté, certes, mais avec sincérité et crudité aussi. Quelques touches de couleur sont parfois apportées, vite absorbées par le gris.

« Alors, sur cette lancée et avec un soupir, il soulève sa pesante personne et sort du grand bureau. le hall est désert. Une faible clarté descend des hautes fenêtres. C'est l'heure moutarde l'heure mandarine l'heure ocre – mais l'ocre, comme les autres couleurs, a été absorbé dans la monochromie si bien que le Palais est baigné de cette même lumière grise, à peine teintée d'orange, pistil de safran tout de suite avalé par la cendre ».

La poésie semble être ici un acte de résistance et de dénonciation, un pied de nez à tous ces régimes qui se succèdent et qui commettent des crimes pour tenter de perdurer. C'est J.F. Kennedy qui disait quelques semaines avant d'être assassiné : « Quand le pouvoir corrompt, la poésie purifie ». Emilienne Malfatto nous en donne une démonstration magistrale en apportant une lumière purificatrice aux victimes de guerre, les sortant ainsi de l'ombre marécageuse dans laquelle elles ont été plongées. Un énorme coup de coeur !
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Un tortionnaire torturé.
Juste retour de bâton pour ce colonel qui excelle dans l'art de faire parler ceux qui n'ont rien à dire. Peu importe le régime en place, il met ses compétences macabres au service du pouvoir. Par temps de guerre, ses compétences sont recherchées. Il n'a pas suivi de cursus universitaire, pas de CAP de briseur d'os ou de BTS d'amputation. Il a appris sur le tas avec son CV de boucher. Un autodidacte qui a tellement fréquenté la mort durant sa carrière militaire que la souffrance des autres le laisse indifférent.
L'homme se décrit comme un simple exécutant, un artisan doué qui n'agit pas par conviction ou idéologie, qui ne fait qu'obéir aux ordres. Un alibi historique chez les criminels de guerre mais il ne trompe pas sa conscience. Ses victimes ont décidé de hanter ses nuits et de le rendre insomniaque. Les troubles du voisinage, il les a dans la tête. La revanche de ses « hommes-poissons » comme il les appelle.
Dans un pays sans nom et dans une ville sous la pluie, le court roman d'Emilienne Malfatto accompagne ce colonel dans son quotidien : auto, sale boulot, pas de dodo.
La romancière épargne au lecteur la description des sévices infligés aux ombres qui se succèdent dans la salle d'interrogatoire. de la pudeur dans l'horreur. le gore reste au garage. L'action est désincarnée, comme un cauchemar en tournage. Chaque phrase pèse une tonne d'émotions. Par contre, ne cherchez pas d'humour dans ce texte. le nez rouge, c'est un pif qui saigne.
Une ordonnance assiste aux interrogatoires du Colonel. Il n'intervient pas, condamne en silence mais ne dit rien pour préserver sa petite personne d'un engagement sur le terrain. Spectateur du premier rang, ne lui manque que le sac de pop-corn et les lunettes 3D. Insupportable de passivité.
Le troisième personnage de ce roman, c'est le Général, retiré dans son bureau et sombrant peu à peu dans la folie.
Photojournaliste, Emilienne Malfatto semble avoir écrit ce roman dans une certaine urgence comme si cette histoire lui brulait les doigts entre deux reportages. Un besoin de fiction pour évacuer certaines horreurs, rappeler que la guerre rend fou et tue les âmes autant que les corps. 120 pages, pas de superflu, la prose froide en surface, incandescente à l'intérieur.
Je ne peux pas dire que j'ai aimé ce roman car les personnages manquent du taux minimum d'humanité pour que l'on puisse s'intéresser à leur sort. Il n'existe pas de vitamines contre les carences du coeur.
Je suis resté trop spectateur du récit. Un spectateur impressionné par le style, sans doute. Un spectateur marqué par l'atmosphère, surement. Sensible à la poésie, tout autant. Mais il m'a manqué ces moments précieux où l'on s'oublie dans une lecture.
A croire que la froideur de l'histoire a aggravé ma presbytie.



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Un tout petit livre ,110 pages , pour un roman qu'on ne risque pas d'oublier , tant le sujet difficile est traité avec brio par une autrice que , j'avoue mes lacunes , je ne connaissais pas .Bref , une rencontre imprévue , dictée par le fait que , sélectionné parmi les quatre finalistes du prix Landerneau des Espaces Culturels Leclerc ,ce livre m'est tombé dans les mains .Et c'est bien par les mains que nous avons fait connaissance , lui et moi .Quelle couverture !!!
Le ton est donné et si les mains tournent et retournent , les yeux , eux , recherchent , en vain ,la moindre trace de couleur vive , gaie , joyeuse ...Un homme , un homme ou une silhouette ? , un fleuve sans vie , des ruines , un imposant nuage ...Des ruines et la désolation à l'infini...L'illustration , donne le ton ....
La ville , le pays , l'époque ? pas important , c'est Intemporel ...partout , nulle part ....Les hommes ? Ils sont trois , eux aussi plus "ombres chinoises "qu'êtres de chair et d'os , sans nom , juste avec des titres : le Général disjoncté , le Colonel en proie à des démons qui l'empêchent de dormir et l'Ordonnance figée à la limite du "Halo lumineux " , attendant ...pourquoi pas la place, prêt à faire , ici ou ailleurs , le " travail " du Colonel .Dehors gît la tête du dictateur , éternel recommencement .
C'est autour de ce "triangle " que l'art de l'auteure va s'exprimer et , franchement , c'est ce qu'on appelle " de la belle ouvrage ".
L'alternance de la narration qui nous ramène au présent et de la poésie en vers libres qui traduit les pensées destructrices du Colonel est magistrale , créant , tout au long du récit , une impression de poids angoissant , un sentiment d' impossibilité de se sortir de cette cave symbolique , de la stupidité et de l'absurdité des conflits .Certaines et certains d'entre vous songent déjà à fuir cet ouvrage , arguant qu'ils redoutent sa violence , je préciserai que les scènes insoutenables auxquelles on pourrait s'attendre sont quasiment absentes et ne peuvent donc pas ( à mon avis ) heurter les sensibilités , mais à chacun son vécu et sa perception des choses .Je crois savoir que des lecteurs ont , et c'est parfaitement leur droit , renoncé en cours de route .
Dans les premières pages , face à un ennemi , le Colonel a tiré le premier , condamnant son adversaire à la mort et se condamnant lui - même à un tête à tête permanent et destructeur avec un fantôme ..puis bien d'autres , jusqu'à......
Un livre remarquablement écrit qui risque de marquer longuement ses lecteurs et lectrices même si , malheureusement , il ne sera pas de nature à changer la nature humaine .
Aimé ? Pas aimé ? Question sans réponse .A vous d'y trouver - ou non - une once de lumière , une once d'espoir .Pas gagné; A bientôt.
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Le colonel ne dort pas, parce qu'il a été responsable de trop de morts durant cette guerre, et que ceux-ci reviennent le hanter la nuit, le torturant comme il l'a fait avec eux, le tuant à petit feu comme il leur appliquait l'art de ne pas les faire mourir trop vite. Car la mort est une délivrance, comme le sommeil.


Si le sujet semble fort en nos temps de guerres perpétuelles, la forme n'est pas en reste : Emilienne Malfatto (auteure de « Que sur toi se lamente le tigre ») alterne les chapitres en vers libres dans la tête du colonel insomniaque, avec les chapitres où elle prend elle-même la prose pour raconter son histoire.


Deux récits qui se complètent parfaitement, autant sur la forme que sur le fond. Deux points de vue, aussi. Les vers libres, c'est à la mode c'est vrai. Mais ça permet de donner au colonel l'humanité qu'il semble avoir perdu de l'extérieur. C'est très beau, et ça compense l'écriture certes vive mais plus désincarnée du récit qui nous raconte l'histoire de l'extérieur.


On effleure dans ce texte quelques sujets qu'il aurait toutefois été intéressant de creuser, comme la culpabilité ou pas de tuer en temps de guerre, l'interchangeabilité des méthodes et des êtres entre démocratie et dictature, ce que ressentent profondément les différents acteurs du drame etc… On espère que le personnage sur lequel le projecteur est braqué pourra donner corps à ces réflexions, les nourrir, et non simplement les nommer… Hélas, pour ma part, en vain.


Au total, passé la bonne impression de départ, je n'aurais pas ressenti grand chose à la lecture de ce court roman de 120 pages. Peut-être m'a-t-il manqué un peu de profondeur, d'attachement au personnages, de contextualisation aussi. Et d'une fin moins… plus… Pfff bref, d'une vraie fin quoi. Après le déluge d'éloges pour Que sur toi se lamente le tigre, je m'attendais à quelque chose de plus complet et de plus fort. Je n'ai pas été prise dans la tempête de culpabilité et de remous du colonel, ni été submergée par une vague d'émotions au contact de son âme qui pulse ; je n'ai eu que l'écume, le superficiel et léger, ce qui reste quand l'immense présence de l'océan se retire. Je ne risquais pas de me noyer : je suis restée en surface. Et je le regrette.
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critiques presse (8)
Telerama
26 mars 2024
Dans ce court et percutant récit, l’insomniaque est paradoxalement le tortionnaire.
Lire la critique sur le site : Telerama
Culturebox
05 janvier 2023
La jeune romancière parvient avec ce roman impressionniste à dessiner avec netteté l'absurdité et l'horreur de la guerre.
Lire la critique sur le site : Culturebox
RadioFranceInternationale
04 octobre 2022
C’est un grand livre. Par sa force, et par son style, sec comme un coup de trique. Pas besoin de beaucoup de mots quand ils sont choisis avec autant de soin pour dire ce que la guerre fait aux hommes, comment elle peut dissoudre l’humanité comme de la soude caustique.
Lire la critique sur le site : RadioFranceInternationale
Culturebox
27 septembre 2022
Un pays en guerre fictif. Prose et poésie alternent pour dépeindre les tourments d'un spécialiste de la torture.
Lire la critique sur le site : Culturebox
LeFigaro
22 septembre 2022
Le grand mérite de ce roman est de chercher sinon à remplacer du moins à nourrir une banale narration par une musique intérieure.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
Bibliobs
16 septembre 2022
Goncourt du premier roman en 2020, Emilienne Malfatto signe un livre court et puissant sur la guerre.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
LePoint
09 septembre 2022
«Le colonel ne dort pas », une fable universelle d’Émilienne Malfatto, lauréate du Goncourt du premier roman en 2021.
Lire la critique sur le site : LePoint
Culturebox
22 août 2022
Dans un roman impressionniste, Emilienne Malfatto dessine avec acuité les pires horreurs de la guerre.
Lire la critique sur le site : Culturebox
Citations et extraits (65) Voir plus Ajouter une citation
On murmure derrière moi que je ne suis qu'une ombre grise
c'est vrai
mais je m'en accomode
j'ai renoncé au monde des vivants
je n'appartiens pas encore à celui des morts
je suis du monde des ombres
mes visiteurs du soir
mon peuple depuis si longtemps
c'était après la longue guerre
je suis passé à l'ombre
déjà vous les Hommes-poissons et toi
mon premier mort
à la renverse
et vous autres tous ceux qui avez suivi
dans cette guerre abominable
déjà vous étiez mon peuple caché
même si à l'époque il m'arrivait parfois encore
de dormir
de vous échapper
quelques heures
c'est déjà ça de pris
quelques heures de liberté
d'oubli
loin de vous de vos yeux vides de vos visages de cendre
loin de mes souvenirs
il y a bien longtemps que j'ai renoncé à l'oubli
vous êtes devenus mon peuple et chaque jour
dans la pièce du sous-sol

ou

dans d'autres lieux

au fond peu importe le lieu
je grossis vos rangs
je vous croîs et vous multiplie
vous le peuple des caves
vous mon armée d'ombres qui me dévore chaque nuit

c'est un peu comme
une forme de torture très lente
et très raffinée
le tortionnaire torturé
de sa propre main
le persécuteur persécuté
chaque jour dans la pièce du sous-sol
je regarde l'homme dans le cercle de lumière
dans cette lumière trop crue qui me brûle les yeux
à moi qui n'ai plus droit à
la lumière
je regarde cet homme
cette nouvelle recrue
cet homme qui va devenir mon ombre
qui va alourdir mon ombre sur mes pas
c'est fou ce que c'est lourd une ombre
on ne le croirait pas
avez vous déjà remarqué
quand le soleil tombe à l'horizon
cette ombre longue et lourde le long des murs
accrochée à vos pas
ce qu'elle est lourde à traîner
et quand vous vous retournez
vous ne la reconnaissez pas
c'est qu'elle vous montre la part que vous ne voulez pas voir

la part d'ombre

mais moi je la regarde je la cherche
je la connais
et chaque jour inlassablement je l'accrois
je la nourris
si bien que
désormais
quand je longe les murs
on dirait que l'ombre a englouti la ville
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Quand il fait un effort et regarde en arrière (mais cela lui est de plus en plus difficile) il se souvient de son enfance, de sa jeunesse, de ces sommeils foudroyants qui n'étaient pas un combat et qui le saisissaient, l'emportaient, le défaisaient de son corps, oui c'est cela, cette sensation d'échapper quelques heures à son corps à sa vie ,à soi, et l'emportaient au loin puis le ramenaient quelques heures plus tard sur la rive comme déposé par une vague et il se souvient encore de cette sensation de coton qu’il éprouvait au réveil et qu'il n'a plus ressenti depuis de longues années.
Au début, le sommeil s'est seulement fait lent à venir, comme l'ennemi qu'on attend dans la plaine et qui n'apparaît pas, comme l'ami absent au rendez-vous. Mais cette époque -le colonel date ça vers la fin de l'ancien régime- il finissait par s'assoupir, souvent à l'aube, il se tournait et se retournait dans le lit devenu trop tiède poisseux jusqu'à apercevoir l'est, par la fenêtre, la première lueur de l’aurore et alors il avait la sensation qu'un poids dans sa poitrine se relâchait, comme si le lynx féroce lynx de métal et de velours assis sur son cœur et ses poumons se relevait et s'en allait de ses pattes feutrées, et les yeux fixés sur la lumière rosée, il finissait par fermer les yeux et pour quelques heures, parfois seulement quelques minutes, il s'échappait de son corps, il accédait à l'oubli bienheureux du dormeur. (p.27)
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Depuis qu'il est arrivé dans la Ville, il pleut sans discontinuer. L’eau n'arrête pas les opérations de la Reconquête, mais elle les ralentit. Heureusement, elle ralentit aussi l'Ennemi, désormais terré sur la rive droite, cette rive qui vue du Palais ne ressemble plus à rien, comme si un architecte fou était passé par là. Il faudrait inventer un nouveau vocabulaire pour la destruction de la matière, pense le colonel. De nouveaux mots qui rendent la destruction absolue d'une ville, d'un quartier, d'une maison, d'un homme. Comment appelle-t-on une rue que l'on ne reconnaît plus comme rue (c'est un peu comme un corps qui ne ressemble plus à un corps, mais cela le colonel n’y songe étonnamment pas).La grande rue, par exemple, cette artère de la rive gauche que la jeep emprunte chaque jour et qui semble un sillon tracé maladroitement, ouvert par une charrue de mort dans un mélange de béton, de métal, d'asphalte et de chair humaine, quelque chose d'éventré, les entrailles de la ville à l'air, la terre violée, dévastée, ici rien ne poussera plus, terre sans blé, sans moissons. Quand la jeep remonte la rue-sillon en cahotant, le colonel cherche dans sa tête des termes pour décrire ce qu'il voit et chaque fois s'irrite de ne rien trouver qui semble correspondre. (p.36)
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Ô vous tous
puisqu’il faut que je m’adresse à vous
que je ne peux plus vous ignorer
puisque vous êtes devenus les sombres seigneurs
de mes nuits
puisque vos ombres et vos cris
résonnent dans mes ténèbres
puisque les Hommes-poissons
ont pris possession de mes rêves
vous tous je m’adresse à vous
mes victimes mes bourreaux
je vous ai tués tous
chacun de vous il y a dix ans ou
 
dix jours
 
ou ce matin
 
et depuis je suis condamné à continuer
de vous tuer
chaque fois à chaque nouveau mort
j’augmente ma peine ma
 
condamnation sans appel
 
perpétuité
perpétuité
comme vous les Hommes-poissons
je vous revois flotter
dans l’eau grisâtre
flotter
vous revenez depuis peupler mes cauchemars
vous avancez en écartant les roseaux
vous tendez vers moi vos membres décharnés
gonflés par les eaux
vous tendez vos mains et c’est toujours alors
toujours que
je vous tue
 
à nouveau
 
tuer les morts vous tuer encore vous mes victimes
puisque c’est la seule voie puisque je vous ai déjà
tués
puisque bientôt vous me tuerez

(Incipit)
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peut-être que nous sommes tous hantés sans
oser
le dire
en parler
chacun persuadé d'être une île
un cas particulier
j'aurais cru que ça me consolerait
mais c'est tout le contraire
j'aurais aimé penser que quand vous
m'emmènerez
mes ombres
je laisserai derrière moi un monde
plus réjouissant
plus beau plus
lumineux
d'autant plus beau qu'il sera enfin débarrassé
de
ma présence
peut-être qu'en partant j'emporterai
avec moi l'ombre et
la pluie
et la grisaille
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VLEEL 217 Rencontre littéraire avec Emilienne Malfatto, Le colonel ne dort pas, Éditions du Sous-Sol
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