Dans ce texte puissant,
Emilienne Malfatto interroge et s'interroge sur la mémoire et l'amnésie,sur les souvenirs qui donnent sens à la vie et l'oubli qui paralyse, sur les disparitions et les reapparitions, sur le doute qui assaille quant à sa réelle identité, tout ceci dans le contexte de la dernière dictature en Argentine. En une nuit de 1976 cette dictature s'est férocement concrétisée dans le sang. Elle oeuvrait déjà perfidement depuis plusieurs années et a duré jusqu'en 1983. La démocratie reprend alors ses droits non sans peine, pendant que les grands mères de la place de Mai ainsi que tous ceux qui refusaient l'amnestie pour " le monstre"continuent à lutter pour que justice soit rendue .
Ce texte mêle brefs mais poignants témoignages, rêves ou plutôt cauchemars, pensées, questions et constats de la narratrice.
Ce mélange dans lequel s'entremêlent les photos de Rafael Rosa,aurait pu aboutir à un ouvrage décousu mais loin d'être le cas,il est au contraire magnifique car il informe et instruit de façon factuelle mais apporte aussi toute la réalité émotionnelle et la souffrance d'un peuple victime des pires horreurs.
Certaines précisions ont agit sur moi comme un coup de poignard au coeur. Comme ces grands mères, " ces folles" qui tournaient en rond sur la place de Mai pour réclamer leurs disparus ,avec ce foulard blanc ridicule sur la tête...et bien ces foulards étaient les langes des enfants disparus!
Emilienne Malfatto ne mâche pas ses mots et dans une langue qui sait être tout autant caustique que poétique, elle n'oublie pas d'interpeller les responsables du massacre. Tous les responsables! Les français si prompts à transmettre leur art de la torture,Washington qui encourageait l'extermination des " subversifs", et puis cette belle alliance transfrontaliere, Bolivie,Brésil,Chili, Uruguay,Paraguay,"une internationale de l'horreur".
En peu de page,l'ecrivaine dresse toute l'étendue de la barbarie et va même plus loin en interpellant sur les risques toujours présents dans le monde d'imposer le pouvoir par la force. Les photographies de Rafael Rosa illustrent avec pudeur les paroles de la narratrice et ajoutent de l'émotion sans jamais être violentes.
Ce duo ouvre l'esprit et le coeur sur l'horreur et pourtant c'est magnifique ! Cela est possible grâce à leur talent dont celui d'
Emilienne Malfatto que j'avais déjà beaucoup aimé dans
le colonel ne dort pas, mais aussi parce qu'à chaque fois qu'une voix s'élève pour dénoncer la barbarie c'est l'humanité qui renaît.