LA LOUISIANE par Julie MALYE (Ed Stock)
Julia Malye, née en 1994, publie son 4ème roman «
La Louisiane ».
Diplômée de
Sciences Po et de la Sorbonne en Sciences Sociales et
Lettres Modernes, titulaire d'un Master of Fine Arts en créative writing de l'Université d'État de l'Oregon. Elle est traductrice de l'Anglais pour Les
Belles Lettres et, depuis 2018, elle enseigne l'écriture de fiction à
Sciences Po.
Ce livre a par ailleurs deux écritures, Français, mais également Anglais sous le titre « Pelican's Girl ». de belles références. Avis aux Anglophiles.
Julie Malye rapporte une page peu connue et peu reluisante de notre histoire. En 1680, 90 femmes enfermées pour des raisons diverses dans le bâtiment de la Grande Force à l'Hôpital de la Salpêtrière vont être choisies et raflées sur des critères obscurs et éminemment subjectifs pour prendre la mer et, à la suite d'une longue et périlleuse traversée sur le navire « La Baleine » être exilées en Louisiane, où elles seront mariées à des colons français déjà sur place.
Nous allons suivre le destin tragique de trois d'entre elles, Geneviève une faiseuse d'anges, Pétronille une aristocrate placée par sa famille et Charlotte bébé abandonné qui a grandi là, à l'Hôpital. Certaines d'entre elles, insistent et font le forcing pour être exilées en Louisiane, bien conscientes que si elles veulent espérer un avenir, ce n'est pas la Salpêtrière qui pourra leur en fournir un. C'est un grand bond dans l'inconnu, sans même mesurer à quelle sauce elles seront croquées par leur futurs maris. Parce qu'il Il va de soi qu'on les envoie là-bas pour être, ce que les femmes ont de tout temps été, « des sexes et des ventres ». Elles ne s'attendent pas à ce que leur réserve une telle traversée, elles ignorent tout de la mer et de ses contraintes, des marins, des pirates et de la précarité de leurs conditions de voyage, beaucoup mourront avant d'avoir vu la moindre côte. Choisir n'existe pas dans le destin de (ces) femmes.
Nous suivrons longuement, avec un luxe de détails, leur vie, leur destin sur place, leurs liens, Geneviève la plus mature sera mariée avec trois Pierre différents, Pétronille surnommée « La tachée » car marquée d'une large tache de naissance sur la joue, et Charlotte, qui ne pourra jamais enfanter. Elles vont devoir apprendre à connaitre l'inconnu qu'elles se devront d'épouser.
C'est un beau livre épique, très romanesque, magistralement écrit qui va nous amener à l'origine de
la Louisiane et de sa colonisation par les Français. On apprend beaucoup sur les conflits avec les tribus indiennes autochtones, les Natchez, sur leur vie, leur culture, leurs rapports à la nature, leur médecine, pétris de ce respect intime que peuvent avoir les peuples premiers, sur les colons français dont le seul objectif sera de les exproprier de leurs terres pour en faire, entre autres, des plantations de tabac, affamés d'espaces, prêts à les exploiter pour faire exploser leurs richesses et leurs ressources naissantes, mais aussi sur les congrégations religieuses, déjà à l'affut pour recruter, intégrer , corseter les âmes et les corps par leurs préceptes religieux, bref sur les hommes blancs, déjà voleurs, déjà violeurs, un concentré violent de la « civilisation »blanche, déjà prête à tout pour rendre monnayable ce qui peut l'être , ancêtre lointain du capitalisme destructeur et triomphant. C'est enfin la peinture d'une époque qui change et mute, les positions sociales qui se crispent, les révoltes grondent, les questions raciales inimaginables pour les blancs se révèlent, l'esclavage doit disparaitre par la lutte, le colonialisme doit payer ses errements.
C'est un beau livre, autant féminin que féministe. Car au fond, Geneviève trois fois mariée, cinq fois maman, mais femme battue lors de son second mariage, Pétronille « la tachée », un peu guérisseuse, un peu sorcière, Charlotte la stérile qui finira un temps dans le couvent des Ursulines avant de retrouver Geneviève et nouer avec elle une ancienne relation amoureuse, ce sont bien elles, les vraies et attachantes héroïnes, qui tiennent la dragée haute à leurs hommes, eux qui auraient pu être dépeints comme violents et féroces, et que l'autrice portraitise comme finalement bien pâles et déconstruits.
J'ai lu des critiques mitigées sur ce livre. Je ne les partage pas. La langue est superbe, agile, fraiche, riche en trouvailles et en descriptions minutieuses qui rendent l'histoire proche du document historique. L'autrice, qui s'est documentée pendant huit ans, est habitée par ses personnages, d'une sincérité absolue, elle nous les rend proches et familiers. Au point de nous sentir, nous lecteurs, presque voyeurs, dissimulés dans un coin de la maison ou sur l'étrave du bateau, fuyant en pirogue au fil de la rivière ou fulminant devant les propos racistes des gouverneurs et des colons. L'écriture est splendide et fait la différence, riche et mature, fleurie quand il le faut. Certes, le livre a des longueurs qui créent des langueurs, c'est là le seul bémol, mais il n'est jamais démonstratif. Il donne une image de
la Louisiane originelle que nous n'avons pas dans notre imaginaire commun, celle d'aujourd'hui, du jazz de la Nouvelle Orléans, du Mississipi ou plus haut de Charlebois de Beau Dommage et des forêts canadiennes. Nous pouvons donc changer d'angle de vu sur cette contrée lointaine et la honte nous happe nous Français qui avons donc participé, aussi, à l'extermination des tribus indiennes. Un livre dans la lignée d'autrices comme Marie Charell dans « les Mangeurs de Nuits » ou
Gabrielle Filteau-Chiba dans «
Sauvagines ».
Je n'ai pas boudé mon plaisir. Ne boudez pas le vôtre. C'est assez rare pour le souligner, mais c'est un livre en quelque sorte oecuménique sur la forme comme sur le fond, un livre de tendances et de climats, d'atmosphères, de couleurs dures et drues de sentiments puissants. Un livre qui peut vraiment plaire à tout le monde. Fortement recommandé.