Véniels
Bernard Manciet(Escasenças) : plaisirs véniels, péchés véniels... Véniel provient du latin veniales, venia qui signifie grâce et faveur. L'ancien français le transforme en pénitence avec l'expression prendre venie qui sous-entend déjà l'idée de pardon. On retient surtout en français moderne l'acception théologique dans l'expression péché véniel qui désigne une "faute digne de pardon (opposé à péché mortel)" (le Petit Robert). D'une manière générale et par glissement sémantique véniel finit par désigner les fautes légères. On trouve également venia en ancien provençal pour désigner la génuflexion. Cette dernière acception donne une orientation de lecture résolument plus érotique au recueil et je ne suis pas loin de penser que l'auteur a joué de cette ambiguïté en traduisant Escasenças en Véniels.
Bernard Manciet en effet n'a pas traduit littéralement Escasenças qui désigne les hasards, les occasions. Per escasenças : à l'occasion.
A la lumière des ambiguïtés de ce double titre, la lecture des sept poèmes (Vanille, Laure, Truite, Dune, Lunaire, Pluviôse et Lézard) qui composent le recueil peut alors prendre ou entremêler des chemins divergents : aveu sans pénitence de péchés véniels liés au désir et à la passion amoureuses, de la femme ou de la nature ; blasons sensuels du corps féminins comme un bestiaire élémentaire sur l'autel du plaisir et de la déraison ; et enfin, pris sur le vif, on peut y apercevoir des instantanés du hasard, des visions fugaces dérobées à l'occasion...
J'ai trouvé dans le rythme, dans la recherche paradigmatique (parfums de vanille et laurier, bestiaire inattendu : truite et lézard, éléments naturels, le thème récurrent du bateau, etc.), une filiation baudelairienne : jeu subtil d'évocation des corps, dans leurs parties les plus intimes, dans leurs jeux les plus secrets, sensualité de la nature omniprésente, oscillation permanente entre le prosaïque et le sublimé, langue tressautant comme au bord d'un orgasme mais retenue, mais maîtrisée... Et comme
Baudelaire on voit poindre à chaque strophe un nombre incalculable de correspondances où la nature se fait chair et la chair dune... et pourtant, le mot femme n'y est jamais prononcé (à moins que les dessins à l'encre de l'auteur ne disent le mot femme en calligraphie arabe : « Lézard, tu écris sur mon coeur en arabe », Lézard). Car les dessins épurés à l'encre de chine de l'auteur – corps de femmes ondulés, offerts, reposés, stylisés pour ne devenir d'un pictogramme unique – ponctuent ces poèmes et jouent avec le texte comme chat et souris dans la nuit de la page blanche.
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