Aujourd'hui Odile est assise sur le sofa de son père, dans son atelier de peintre. Il la regarde toute entière longuement, minutieusement, étudie chaque fragment de son corps. Son regard d'artiste semble transpercer ce corps. Pourtant il n'effleure que la peau.
Aujourd'hui Odile est adulte. Et pour la première fois il lui a demandé de prendre la pose. Jusqu'ici, il n'y a jamais eu de place pour elle. Elle était de trop. Au milieu de ses parents. Sur la toile. Sa mère, flamboyante muse ne rêvait que de gloire pour Louis, son mari. Elle le veillait, surveillait son travail, le motivait – lui qui n'avait jamais assez faim -. Leur fille était gênante, encombrante dans l'ascension du peintre. Alors très vite, on l'a mise de côté, confié à une gouvernante, puis à son grand-père jusqu'à ce qu'elle soit envoyée en pension… Père et mère n'étaient qu' un « on » insensible. On ne la regardait pas, ne l'écoutait pas, ne la voyait pas grandir. Et même, on ne la nommait pas.
Odile a toujours été seule, avec ce corps, dont elle ne savait que faire. Invisible aux yeux de ses parents, elle avait pris l'habitude de se fondre dans le paysage, sans bruit. Se nourrissant peu, elle fondait littéralement. Ce corps qu'on ne voulait voir, elle le gommait peu à peu.
À l'internat, pour échapper à l'ennui, elle se met à dessiner. Sur les murs d'abord. Puis sur des toiles de plus en plus grandes, elle y déverse les couleurs jusqu'à saturation, scrute les coulures, accumule la matière. Elle y met tout son poids, ses tensions, sa chair. Elle s'allège jusqu'aux vertiges, à la perte de consistance.
Malgré sa fragilité, il est pourtant si énergique, ce corps. Il se fait violence. Inspiré et aspiré.
Quand elle commence à exposer ses tableaux, son père a l'envie – le besoin ? – de faire le portrait de sa fille. Une fois de plus, il passera à côté d'elle.
Il n'y a pas de place. Il n'y a pas de manque.
Le roman est mince et si dense. On le dévore, impatient, on le termine, le souffle court.
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