Voir, entendre et se taire

J'ai eu la possibilité de passer une année entière avec les membres de la MS-13 de cette colline, alors que je travaillais sur ma thèse d'anthropologie sur la violence des pandillas. De janvier à décembre 2010, j'ai pu étudier la guerre entre les deux groupes, et me familiariser avec l'existence de cette communauté prise entre deux feux. Ce livre est de fait le récit d'un moment de cette guerre : C'est une photo instantanée de ce qui s'est passé pendant un an dans la dernière communauté de la colline Montreal. On lira ici les notes de terrain prises au cours de cette enquête, la source du travail académique qu'elles allaient nourrir.
Je crois nécessaire de préciser que ce texte n'est pas un document scientifique, au sens strict du terme, mais ce n'est pas non plus une fiction : tous les faits rapportés ici sont véridiques, toutes les constatations compilés sont le fruit d'une application rigoureuse de la méthode de recherche ethnographique, dans son acception la plus artisanale, la plus empirique. Le résultat, je pense, se rapproche autant que possible - et sans sous-estimer l'énorme distance qui s'en sépare- de ce que le regretté maître Oscar Lewis appelait "Réalisme ethnographique".

Et donc, en arrêtant ici les préambules, je laisse entre vos mains les récits qui ont été écrits là-bas. Dans la dernière communauté de la colline.

Lire un universitaire allergique au salons climatisés, c'est un privilège. Et c'en est un double de le lire à propos de la Mara Salvatrucha. Il y a peu de groupes criminels sur lesquels on a écrit tant de crétineries en Amérique latine. Il y a le verbiage prétentieux de celui qui a tenté d'établir un lien organique entre les Maras et les Zetas, et l'éditeur ignorant qui a prétendu illustrer la symbolique des pandillas avec des tatouages de rockers téléchargés sur Internet. Il y a (tous les jours) les journalistes-pizzaiolos-capables de préparer et livrer leur marchandise en une demi-heure - qui parlent des maras, de leurs rites sataniques et de leur incarnation du mal absolu. Il y a encore certains universitaires et ONGistes condescendants qui, sans avoir le quart de la moitié des connaissances de Juan, ont fait carrière en nous servant la thèse du "pauvre marero opprimé", victime idéale de la société en lieu et place du "parfait méchant" vendu par les premiers.

La Mara Salvatrucha est un phénomène important en Amérique Centrale - personne ne remet cela en cause - mais aussi au Mexique, et elle est une composante essentielle de l'existence de nombreuses communautés latinas aux Etats-Unis. La Mara Salvatrucha est une "marque" internationale, qui a même essayé d'implanter des succursales en Espagne.
La Mara Salvatrucha est l'histoire de l'échec de certains pays qui n'ont pas su quoi faire des jeunes qui ne savaient que faire de leurs vies. C'est l'histoire de politique sociales désaxées qui ont fini par créer une fourmilière d'assassins. La Mara Salvatrucha, c'est une histoire mondiale. Ce livre est consacré à la Mara Salvatrucha mais il va encore plus loin, il ouvre sur son intimité, sur ce que la Mara Salvatrucha fait derrière les portes closes.

"Toutes les questions qui s'étaient envolées pendant le match reviennent m'assaillir, et me rappeler que je suis ici pour y répondre : pourquoi cette foule d'hommes dans la force de l'âge sont-ils en train de jouer au foot à quatre heures de l'après-midi, au lieu d'être au travail ?
Ils n'ont pas de travail ? Pourquoi n'ont-ils pas de travail ? Pourquoi doivent-ils faire surveiller le terrain par des guetteurs ? Pourquoi avons-nous la peur au ventre d'être le 18 du mois ? Pourquoi est-il probable qu'un jeune surgisse et se mette à nous mitrailler ? Pourquoi continuent-ils à jouer sur un terrain où plusieurs jeunes ont déjà été assassinés ?"

Aujourd'hui est mon premier jour en tant que professeur de soutien scolaire. Pour rompre la glace avec les enfants, j'organise un jeu. Gendarmes et voleurs. Quand vient le moment de choisir son camp, tous me demandent d'être voleurs.