C'est le second roman de
Nicolas Mathieu que je lis. Après l'avoir acheté, je l'ai oublié volontairement sur une étagère de ma bibliothèque. Je sais son regard acéré sur notre société, il en débusque les travers, les impasses, les incohérences. Et compte tenu du climat plutôt anxiogène de ces dernières semaines, mes choix de lecture se sont portés un temps sur plus léger 😊.
Le roman se déroule dans les Vosges, à l'époque de la fusion des deux régions qui deviendront l'entité Grand Est. L'occasion pour l'auteur de livrer quelques belles pages sur les projets de gouvernance néolibéraux qui confinent à l'ubuesque, plongent les salariés dans un profond désarroi et génèrent des luttes «picrocholines» (je découvre avec bonheur l'adjectif). Des officines qui dictent des règles absurdes, qui assomment les organisations de préconisations mortifères.
Hélène, working-girl quadragénaire, mère de deux enfants, mariée à Philippe, a consacré beaucoup d'énergie à sa carrière, poussée par un désir de réussite qui la conduite au burn out. Elle est dans une période de sa vie où rien ne la satisfait plus, ni son rôle de mère, ni celui d'épouse. Au boulot, elle paraît déjà has been et de jeunes loups menacent son avancement. Sa jeune stagiaire, plutôt délurée, l'amène à réinterroger ce morne quotidien et à tenter la transgression.
Christophe, commercial dans l'alimentation animale, père d'un petit garçon dont il est séparé de la mère, vit avec son père déclinant. Ses seuls moments de répit il les trouve avec ses deux vieux potes, un peu marginaux, avec lesquels il prend des cuites le weekend. Ancien beau gosse du lycée, une carrière d'hockeyeur vite avortée, Christophe est en plein désarroi – sa vie est décevante et son retour dans l'équipe de hockey d'Epinal est sans espoir compte tenu de son âge et de sa condition physique.
Les deux personnages se sont croisés adolescents. Hélène avait eu un gros béguin pour le célèbre sportif du pays sans qu'il n'en sache rien. Ils se retrouvent, la quarantaine insatisfaite, partagent leurs doutes et regrets, s'engagent dans une histoire dont ils ne sont pas très sûrs au regard de leurs différences.
Nicolas Mathieu déroule son récit, avec des retours en arrière – on découvre les héros lycéens et ce sont de très belles pages qui témoignent du talent de l'auteur pour décrire des micro-situations qui résonnent et donnent à voir la complexité de la construction identitaire. La famille – l'effort pour s'en abstraire - l'amour, l'amitié, les faux-semblants, que des tableaux très réussis. Puis, l'âge de la maturité arrivant, le constat qu'on s'est perdus en route et qu'on a couru après des chimères.
Pour la seconde fois, je dévore un roman de cet auteur, avec un peu de rage et parfois quelques larmes. Ici, difficile d'oublier dans quoi chaque individu est pris, quelle prison il se construit, le poids des normes sociales et les contraintes qu'on s‘inflige alors que personne ne nous a rien demandé…
Nicolas Mathieu dénonce un univers de compétition – au travail, dans le sport, au sein de la famille – qui éreinte les individus. Au-delà de la question sociale posée avec acuité, l'auteur nous contraint aussi à l'introspection, à nous confronter à notre être plus intime, celui que nous regardons en secret, la nuit, à la faveur de la solitude retrouvée, loin du bruit et de l'agitation.
Tout cela est bien sombre. Et je ne sais pas si je lui en veux de si bien narrer nos impasses ou si je lui sais gré d'avoir autant de talent pour dessiner ces choses inutiles qui composent notre quotidien.