Le livre commence en fanfare et nous présente Hélène. Dès la page 33 elle remonte sa jupe et se fait plaisir, pour décompresser d'un boulot stressant. On se dit que ce livre va dépoter.
Puis on se retrouve à la page 230 et il ne s'est rien passé. Mais alors rien du tout. Et un malaise languissant a tout recouvert…une sorte de sfumato littéraire pour reprendre l'expression de Mathieu à la page 271. Je suis de la génération racontée dans ce livre et on sent tout au long du livre une ambiance poisseuse, celle des fins de sketchs de
Guy Carlier à la grande époque, le moment où il faisait sa minute sensible, celle du film Tandem de
Patrice Leconte, celle aussi d'un polar de
Marion Brunet,
L'été circulaire, les films de Stéphane Brizé aussi…Tout dans ce livre respire le médiocre, l'impasse, l'inutile. le monde des victimes de tout et qui entendent bien le rester car cela leur confère une identité.
Dans toute histoire, même celle qui raconte le quotidien, il se passe un événement extérieur (chez Coe un attentat ou le Brexit, chez Camus de l'Etranger un mort, etc) ou intérieur (dans le
procès verbal par exemple ou À rebours de Huysmans, on suit les pérégrinations des protagonistes). Là rien c'est juste la vie qui passe…
Cette passivité, complaisamment racontée par Mathieu est tout à fait exaspérante. On se situe dans les séries policières de France 3, que j'apprécie d'ailleurs souvent pour l'humour, le charme du duo de policiers et l'enquête. Ici, aucun humour, aucune analyse de caractère, Hélène et Christophe sont posés là et vivent leur petite vie médiocre en attendant la mort. Au passage couple adultère hautement improbable lui bas de plafond joueur de hockey, elle consultante. Ce couple n'a rien à faire ensemble.
Et aucune enquête on est juste au bar à attendre que la vie passe. Sans doute ce livre me parle trop, la vie de Province, la langueur, les cafés, la médiocrité des uns et des autres…et tous les détails des années 80 et 90 où tout le monde fume clope sur clope. Personne ne se révolte, personne n'avance et l'auteur semble adorer ça. Ce livre m'a tellement énervé que j'ai eu besoin d'en commencer la critique une fois arrivée aux deux-tiers pour me permettre de le finir. Je me suis promis de finir tous les livres commencés celui-là ne fera pas exception mais qu'est ce que je me fais violence…je ne m'ennuie pas, non, je m'exaspère.
Le milieu des consultants est très bien ciselé et la manière dont ils vendent leur camelote à des administrations dépassées est bien décrits. Même si le cynisme qui semble être l'apanage des boites de consulting est aussi celui des patrons d'administration qui ne peuvent contourner les surpuissants syndicats qu'en indiquant que c'est un rapport qui préconise la décision. Alors pourquoi ne pas dépenser l'argent du contribuable pour avoir la paix sociale et la carrière qui va avec ? Ça Mathieu ne le perçoit pas. Mais peu importe finalement.
Nous sommes dans un grand roman dépressif et se complaire là dedans m'interroge…est ce le sentiment qu'il y a pire que sa situation qui vous fait prendre plaisir à lire ce genre de bouquins ?
Le registre de la dépression est patent. Ainsi page 239 (« c'était à se flinguer »), 244 (« l'à vau l'eau général »), 321 (« voila, je suis sur la pente, rien vécu et déjà tout démarre ») mais je ne les ai relevés qu'à partir de la moitié du bouquin. Ce qui est sans doute le plus exaspérant c'est qu'on sent que Mathieu n'est pas sincère. Il surjoue la dépression et regarde ses personnages comme des playmobil sur une étagère. Pendant que lui est tranquille sur les plateaux télé à ne jamais, mais alors jamais vivre les vies stéréotypées de ses personnages. du vrai f… de g…
Maintenant ça me revient. Après avoir entendu le pitch à la radio (la vie de quarantenaire et leur bilan de vie) je me suis dit : « tiens ce livre est pour moi ». Je l'ai ajouté à ma liste puis je ne l'ai pas acheté tout de suite (il n'était pas sorti quand je suis passé à la FNAC). Ce n'est que quelques semaines plus tard que je l'ai trouvé. L'anecdote est savoureuse car je rentrais d'un cours donné en fac à 350 kilomètres de mon domicile et je devais impérativement arriver avant que l'Intermarché de ma ville ne ferme à 20h. Parvenu sur le parking à 19h45 j'ai réussi à rentrer in extremis alors même que la dame annonçait la fermeture du magasin. Je devais acheter de quoi manger et c'est alors qu'en entrant dans le magasin je vis des piles entières du livre de Mathieu. Étonné d'une si grande publicité pour un livre que je croyais plutôt confidentiel je l'achetais. Mais en fait à sa lecture j'ai compris (et l'éditeur aussi) : ce livre parle avant tout des clients d'Intermarché, de leur petite vie de Province, de leurs impasses quotidiennes et leur fin de mois. L'histoire fut longue pour aussi démontrer que moi aussi je peux écrire sur rien pendant des plombes…
Ah au fait la référence à
Connemara arrive à la page 269. Elle n'apporte rien à l'histoire, elle est juste le symbole (mais comme tout le reste du livre) du temps qui passe et des réminiscences des stimuli extérieurs sur la mémoire.
Et dire qu'un
Jonathan Coe pendant ce temps écrit des grands romans savoureux où il décrit la classe moyenne de l'Angleterre sans que jamais on ne sente l'atonie, l'apathie, l'aboulie qu'on ressent en lisant les pages de Mathieu. Sans doute parce que chez Mathieu tout est plaqué que tous les personnages sont posés et ne servent en fait que le décor morne qui est le véritable héros du livre. Les personnages sont des morpho-types piqués dans un livre de psychologie : le sportif, l'allumeuse, le père ambigu, la mère inquiète, la consultante blasée. le consultant est forcément cynique et arriviste, le manager prétentieux et arrogant, le copain de Christophe rigolard et fidèle. Tous les traits de caractère sont dignes de la bibliothèque rose ou du journalisme de bas étage. Aucun humour (on l'a dit), aucune sensibilité non plus, Mathieu se contrefiche de ses personnages qui n'évoluent pas en interaction mais les uns à côté des autres (ainsi la mission d'Helene et de son patron à Pau où le ressenti d'avoir affaire à des poissons dans un aquarium atteint le summum).
Toutes les scènes semblent déjà avoir été écrites, décrites, filmées ailleurs avec le plus souvent plus de talent, d'humour, de sensibilité. Que ce soit la scène du père Alzheimer qui débarque chez le bourreau de son petit-fils, la scène de la maternité, les vacances, etc…
Tout le contraire de Coe qui décrit des personnages, les fait évoluer et où le décor vient ensuite dans l'histoire. Je ne sais pas si c'est ça…ou alors Mathieu décrit de manière trop proche ma propre vie et, étant donné que j'ai tout fait pour en sortir, la retrouver telle qu'elle dans un bouquin me met presque en furie…je pense que les deux explications sont un début de compréhension de ma détestation de ce livre. Il y en a une troisième (hormis l'absence d'histoire), c'est le sentiment profond que j'aurais pu écrire le même livre…sauf que moi je ne me prétends pas écrivain (même raté non pas écrivain du tout).
Ah page 329 il commence à se passer un semblant de quelque chose. Cela ne concerne pas les protagonistes de l'histoire mais la stagiaire qui fait chanter les patrons d'Helene. Mais en fait s'ensuit une vaste conclusion de 50 pages (50!) où Mathieu ressasse…
Dans ce ressassement on a 10 pages de match de hockey (Épinal a gagné chouette) et 30 pages (30 pages!) de mariage. Avec tous les poncifs du mariage mais alors tous. Et toujours sans aucun humour ni événement quelconque qui pourrait justifier qu'on nous raconte tout cela…
Page 306 j'ai trouvé la formule qui résume bien et le bouquin et mon sentiment général : « cette averse de lieux communs l'irritait tout de même assez ».
Je ne lirai plus rien de vous M. Mathieu. Vous passez pourtant bien à la télé même si vous êtes fade comme un jour sans pain. Mais ma copine vous a trouvé beau. Alors disons que c'est la jalousie qui m'a fait honnir votre prose…
Et dire que tout le monde a encensé ce livre c'est incompréhensible…et tellement le symptôme d'une planète bobo soulagée de voir qu'il y a tant de gens qui ont, si on lit M. Mathieu, une vie de merde avec aucun espoir d'en sortir.
On pourrait m'opposer que si je n'ai pas aimé pourquoi en faire une si longue chronique. Sans doute parce que j'ai eu besoin à un moment donné de faire sortir le malaise que ce livre avait introduit en moi comme la plante de Chloé dans
l'Ecume des Jours de
Vian…et finalement c'est déjà ça…