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Critique de kuroineko


Avec son roman Une vie, Guy de Maupassant nous offre à voir effectivement une vie. Une parmi tant d'autres. Évidemment, il n'a pas livré la plus joyeuse.

Pauvre petite Jeanne... Elle souffre de sa condition de femme au XIXème siècle. Élevée au couvent, sortie à 17 ans, mariage dans la foulée ou presque (quelques mois après).
Sauf que son mari est loin d'être un homme bien. Avare, sans délicatesse, négligeant sa femme pour batifoler avec la bonne, etc. Mais qu'il était beau et charmeur le temps de sa cour et des fiançailles... Notre petite Jeanne le regardait alors avec le même enthousiasme charmant et enfantin qu'elle admirait les perspectives océanes depuis la fenêtre de sa chambre. Elle le trouvait un Prince charmant, lui a vu en elle le moyen de remonter la fortune dilapidée par son défunt père. Cette union donne raison à un vieux proverbe "L'amour est aveugle, le mariage lui rend la vue".

Aux désillusions de Jeanne s'ajoute l'ennui. Une femme de sa condition ne peut travailler. C'est Emma Bovary sans la recherche des émois dans l'adultère. Mais comme l'héroïne de Flaubert, elle a rêvé sa vie. L'homme rencontré serait forcément l'âme soeur pure et angélique, l'amour une osmose éthérée. La nuit de noce lui révèle d'emblée l'aspect plus... matériel et organique du mariage. Elle le supporte en se disant qu'elle appartient à son mari. A mes yeux, cette première consommation charnelle s'apparente à un viol.
Si dès les prémices de la lune de miel, Jeanne sent le rouge de la honte monter à son front plus souvent qu'à son goût par l'attitude mesquine de son époux, elle réussit à vivre une période de bonheur dans la sauvagerie des paysages corses.
De retour dans son village normand, la réalité fait voler en éclat ses dernières illusions. Tout devient gris et morne à ses yeux. Elle regarde devant l'horizon sans fin des jours à venir en tant que femme mariée. Chacune de ses journées ressemble à la première. Plus d'évolution, plus de rêve, plus d'avenir, plus d'espérance. Plus rien qu'un présent infini et désolant d'hébétude à force d'ennui.
De cocufiage en maternité, de mortification en exultation devant l'enfant chéri, on suit la vie de Jeanne entourée de son petit monde.
Si j'ai pu ressentir beaucoup de compassion pour Jeanne en épouse bafouée et humiliée par un Julien avare et sordide, Jeanne en mère m'a énervée très très souvent. On peut comprendre ce besoin de se livrer à l'objet de son affection, de déverser des torrents de tendresse maternelle et d'amour jusque là frustré. Mais en toute chose il est bon de respecter un certain équilibre. Résultat de son asservissement à son fils, la ruine morale et financière. Habitué à agir non en accord avec de solides principes mais au gré de ses envies, Paul, surnommé tendrement "Poulet" par sa maman,  se lance dans tout et n'importe quoi, accumulant dettes et mauvaise réputation, flétrissant aux yeux de son noble entourage son titre de vicomte par un concubinage avec une prostituée.
Cette seconde partie du roman tend à donner envie au lecteur de se faufiler entre les pages afin de recadrer vertement la mère et le fils. Ce que fera la brave Rosalie, soeur de lait de Jeanne et son ancienne servante dont on s'était débarrassé lorsqu'elle accoucha de l'enfant de Julien. Femme de tête et de principe, elle mena une vie dure de labeur mais digne auprès d'un mari "cache-bâtard" au départ. Leur union fut malgré cela une union équilibrée et clémente. Son fils, demi-frère de Paul, est sa parfaite antithèse : sérieux et travailleur.
Venue à la rescousse d'une Jeanne éplorée et acculée par la prodigalité de son Poulet, Rosalie reprend en main le foyer et mène d'une main ferme une Jeanne amorphe et languissante.

Dans ce roman normand, Maupassant ne vend guère de rêve quant à l'institution du mariage. Il démontre les défauts d'une société où l'on tient les jeunes vierges dans une ignorance crasse des réalités de la vie de femme dans ses divers états d'épouse et de mère.
S'il fait figurer une galerie somme toute restreinte de personnages, il leur offre des personnalités bien caracterisées. le vieux curé plein de mansuétude et de compréhension pour les us et coutumes de ses "fidèles" paroissiens est tout particulièrement savoureux. Quelle différence avec son successeur à la cure, jeune prêtre fanatique qui semble tout droit sorti des pires moments de l'Inquisition.

La qualité d'écriture De Maupassant n'est plus à démontrer. Son récit se lit avec plaisir, du point de vue du style. Quant à l'intrigue, je l'ai suivie avec des ressentis mitigés comme expliqué ci-dessus. Cette lecture n'est globalement guère réjouissante. Maupassant y glisse heureusement quelques traits humoristiques avec le curé ou les façons saugrenues de leurs plus proches voisins membres de la noblesse.
Après Bel-Ami, je poursuis ma découverte De Maupassant romancier après l'avoir plus longtemps apprécié pour ses contes et nouvelles. A poursuivre avec Pierre et Jean ou Mont-Oriol qui sont dans ma bibliothèque.
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