Mais nous avons fait notre choix ; nous parions contre Machiavel. Nous sommes de ceux qui croient que l'homme échappe à la loi de l'entre-dévorement, et non seulement qu'il y échappe, mais que toute sa dignité tient dans la Résistance qu'il lui oppose de tout son cœur et de tout son esprit.
A l'heure où j'écris (novembre 1941), tant d'autres Français sont mus par une passion élémentaire : la peur ! Ils ne l'avouent pas, rendent au Maréchal un culte d'hyperdulie, invoquent Jeanne d'Arc, mais dans le secret tout pour eux se ramène à l'unique nécessaire : sauver leurs privilèges, éviter le règlement de comptes, "tant que les Allemands seront là..."
Non, il ne s'agit plus de bonheur; il s'agit de faire front contre ce Machiavel dont, même après l'écroulement de l'Allemagne, aucun peloton d'exécution n'interrompra les crimes ; car il est tapi et agissant dans des millions de consciences, et en France même. L'Action Française, Gringoire, Je Suis Partout y trouvent des lecteurs innombrables - et ce sont les plus forts, les riches, les malins.
Et seriez-vous de bonne foi, l'Histoire vous accusera d'avoir servi la vengeance de vos maîtres.
Il nous faut vaincre cette tentation de mépriser l'homme. L'adversaire gagnerait sur nous dans la mesure où nous céderions à ce mépris qui est le fondement de sa doctrine.
Calomniateurs de la France, vous qui n'avez jamais triomphé que grâce à son humiliation et à sa honte ! Médecins qui profitez de ce que le malade est ligoté et matraqué, pour lui ingurgiter vos remèdes !
Se tenir au-dessus de la mêlée ? Regarder de haut les multitudes torturées ? En tous cas, pas de plus haut que la croix. Il faut demeurer à la hauteur du gibet - et nous savons que celui où le Christ rendit l'esprit était très bas, puisque les chiens souvent dévoraient les pieds des esclaves crucifiés.