« Ce que j’ai compris, moi, c’est que si je m’occupais de ma femme – c'est-à-dire de toi – je me soucierais moins de moi-même. Mais peut-être que ça marche dans les deux sens. » (p. 112)
« Qu’avez-vous l’intention de faire ? / Entrer dans l’histoire de la littérature, je pense. » (p. 25)
Au coin du Pont-Neuf, le quai était austère et imposant. Un vent froid mordant traversait on manteau (...) Je traversai l'île jusqu'à la pointe, où il y avait un jardin avec une profusion de marronniers dépouillés, puis descendis un petit escalier menant au fleuve. Des pêcheurs y taquinaient le goujon et les faisaient frire sur place. J'en achetai une poignée enveloppée dans du papier journal et je m'assis là, sur le muret, pour regarder les péniches passer sous le pont Sully. Cette friture en forme de nid croustillait sous une couche neigeuse de gros sel et fleurait si bon la simplicité que je me dis qu'il se pourrait bien que cela me sauve la vie. Juste un peu. L'espace d'un instant.
L’attente donne à l’œuvre le temps de mijoter jusqu’à être réduite à sa plus simple expression. Ce qui est essentiel, sans compter que la souffrance est utile à tout le processus. (p.205)
C’est fou ce que nous étions naïfs, ce soir-là. Nous nous cramponnions l’un à l’autre, faisions des promesses impossibles à tenir et que nous n’aurions jamais dû faire. C’est cela aussi, l’amour, parfois. Je l’aimais déjà plus que je n’avais jamais aimé quiconque. Je savais qu’il avait terriblement besoin de moi et je voulais qu’il continue à avoir besoin de moi, pour toujours. (p.119)
Je n’ai pas appris à nager, ni couru ni joué dans le parc comme le faisaient mes amis. Non, moi je lisais des livres, bien au chaud dans le fauteuil du petit salon, près de la fenêtre aux tentures bordeaux, baignant dans la lumière colorée des vitraux. Au bout d’un certain temps, j’ai cessé de lutter, même intérieurement, contre le calme qui m’était prescrit. Les livres pouvaient être une aventure extraordinaire. Je restais donc sous ma couverture, remuant à peine, et nul n’aurait pu deviner qu’avec ces histoires, mon esprit galopait, mon cœur s’emballait. Je pouvais disparaître dans n’importe quel univers sans que personne s’en aperçoive, là, pendant que ma mère aboyait ses instructions aux domestiques ou recevait ses déplaisantes amies. (p.51-52)
Le bonheur était peut-être un sablier sur le pont de se vider, des grains qui se déversent, passés au crible l’un après l’autre. Peut-être était-ce un état d’esprit – comme Nora Bayes le répétait dans la chanson -, une contrée que l’on pouvait sculpter à partir de rien et où l’on pouvait danser. (p.84-85)
"J'ai eu beau essayer de guérir de Paris, il m'a bien fallu admettre un jour qu'on ne s'en remet pas. En partie à cause de la guerre. Le monde s'était déjà écroulé une fois, ça pouvait recommencer à tout moment. La guerre était arrivée et, en éclatant alors que tout le monde disait que cela n'arriverait pas, elle nous avait changés."
La vie, il faut la digérer. La mâcher et l'aimer à fond.
Ce n'est qu'à cet instant que je compris à quel point il avait été blessé quand tout le monde, moi y compris, avait décrié ce livre. Il aimait les éloges, il en avait besoin. Il aimait être aimé, voire adoré, il en avait besoin. (p.380)