C'était le moment de la journée que nous préférions, ce moment suspendu entre le jour et la nuit, qui semblait toujours durer plus longtemps qu'il n'aurait du, entre deux mondes.
"Tiens, regarde. Tu as vu ? me soufflait Ernest, désignant l'enceinte.
- Quoi ?
- La mort. Le taureau était si près. C'est là que le torero entre vraiment dans la danse. Il doit savoir que la mort est là, de même que le taureau. Si bien que, lorsqu'il la repousse, à la dernière seconde, il y a un instant de magie. C'est là que vivre prend tout son sens." (p. 356)
Je racontai que je voulais un piano à moi. "Je ne pensais pas que ça allait me manquer à ce point, lui dis-je. Mais si.
- Je sais, ma puce. J'adorerais que tu en aies un. Peut-être quand l'à-valoir sera là.
- Quel joli mot, n'est-ce pas ?
- Oui, de même que droits d'auteur, mais ne va pas déjà les dépenser. (p. 319)
J’ai eu beau essayer de guérir de Paris, il m’a bien fallu admettre un jour qu’on ne s’en remet pas. En partie à cause de la guerre.
« Prenons une bonne cuite. / D’accord. Ça, on a toujours su faire. » (p. 413)
"Pourquoi faut-il que chaque personne que tu rencontres se dise artiste? Un véritable artiste ne parle pas de lui en ces termes, il n'en a pas le temps. Il bosse, il en bave en silence et personne ne peut l'aider."
Souviens-toi que personne ne t'a obligé à faire quoi que ce soit. C'est toi, et seulement toi qui décides de ce que tu fais, et pour cette seule raison, tu ne dois pas le regretter (p.187)
Harold se tourna vers nous l'air interrogateur.
"De quoi s'agit-il ?
- Hadley est en train de faire de moi une romantique", expliqua Kitty.
Harold gloussa. "Je doute qu'elle y parvienne, mon ange, mais c'est une très bonne idée.
- Pas plus d'une romantique par table, décréta Ernest. C'est écrit sur la porte."
(p. 287)
"Je pouvais comprendre que le fait de traîner toute la journée dans les cafés n'était pas du travail mais, tout de même, je me demandais si tous étaient aussi sérieux, aussi inflexibles qu'Ernest avec son art. J'imaginais qu'il y a avait des tas d'autres écrivains qui travaillaient chez eux et supportaient qu'on leur parle au petit-déjeuner par exemple. Qui parvenaient à dormir la nuit sans se mettre à gamberger, faire les cent pas ou griffonner sur un calepin à la lueur d'une unique chandelle, fumante et vacillante. La compagnie d'Ernest me manquait tout au long de la journée, mais apparemment, moi, je ne lui manquais pas, pas tant qu'il avait du travail".
« Les gens ne s’appartiennent qu’aussi longtemps qu’ils y croient l’un et l’autre. Il a cessé d’y croire. » (p. 468)