Une femme, la narratrice, dont on ne connaîtra ni le passé ni même le nom, s'isole au coeur de la montagne où elle a acheté un espace de 200 ha et fait construire un abri moderne et bien équipé. de son cocon accroché à la paroi rocheuse, surplombant le vide, elle a vue sur tout son territoire fait de roches, de bois et de prés. On ne connaîtra pas non plus les motivations qui l'ont poussée à cet isolement sinon qu'elle veut expérimenter une vie loin des autres, n'interagir qu'avec la nature et essayer de trouver des réponses aux questions qu'elle se pose sur elle-même, trouver des règles de vie et peut être un sens à son existence.
"Tous les matins, il faut se souvenir qu'on rencontrera un ingrat, un envieux, un imbécile - tant qu'on est en position de croiser un homme. Tous les matins, il faut se demander : qui suis-je ? Un corps ? Une fortune ? Une réputation ? Rien de tout cela. Qu'ai-je négligé qui conduit au bonheur ?"
Elle commence à écrire un journal de bord, défriche un bout de terrain pour faire un potager, abat des arbres qu'elle débite en rondins qui délimiteront son jardin, joue du violoncelle de temps en temps, et surtout se lance dans de grandes courses en montagne pour reconnaître son domaine, partant souvent plusieurs jours et dormant à la belle étoile. Elle gère son quotidien de manière raisonnée : beaucoup d'activités physiques, peu de repos sauf quand le temps est si mauvais qu'elle ne peut pas sortir de son abri. Tout va bien pour elle, les seuls intrus sur son domaine sont les isards qu'elle aperçoit au loin et les oiseaux, jusqu'au moment où lors d'une de ses nombreuses marches, elle aperçoit une cabane, puis quelque chose qui ressemble à un tas de laine d'où sort un bras terminé par un doigt à l'ongle long de vingt centimètres. Elle avait calculé tous les paramètres nécessaire à sa vie en autarcie, mais n'avait pas prévu l'intrusion dans son domaine d'une autre personne, et celle-ci qui s'avère être une sorte de nonne ermite un peu envahissante va bouleverser tous ses plans.
Je me suis demandée à un certain moment de ma lecture (et je me le demande encore !) si cette ermite était réelle ou si c'était un produit de l'imagination de la narratrice, une sorte d'hallucination. Surtout qu'elle ne se refuse pas de temps en temps de sortir quelques bouteilles de rhum de sa réserve, qu'elle envisage de se faire des pulvérisations de cannabis pour soigner ses douleurs et compare le goût de l'eau qu'elle boit à celui du LSD. Si on rajoute à cela les effets de la solitude il y a de quoi se poser des questions. Mais hallucinations ou pas cela n'a pas vraiment d'importance... Cette femme, qui avait tout fait, tout prévu pour se ménager une expérience de vie pratiquement scientifique qui lui permettrait de définir comment vivre, se retrouve confrontée à ce personnage qui lui est diamétralement opposé. Fantasque, imprévisible, déjantée, l'ermite apparaît aux moments ou la narratrice s'y attend le moins et agit d'une manière complètement excentrique. C'est comme si, se croyant seule, elle rencontrait son double inversé. En allant vers elle, en la suivant, en osant partager ses jeux, la narratrice a t-elle trouvé son maître et par là même réponse à ses questions ? Est-ce cela
le Grand Jeu ? Celui qu'on n'a jamais osé et qui permet de franchir le pas vers une nouvelle prise de conscience ?
C'est encore une fois un roman très bien écrit et très original que
Céline Minard nous propose ici, une sorte d'ovni littéraire. C'est bien le journal de bord de cette femme que nous lisons. La première partie est plutôt froide, comme si la narratrice relatait des observations scientifiques, puis avec l'apparition de l'ermite, les émotions font leur apparition : on la sent peu à peu intriguée, en colère, puis carrément curieuse, prête à sortir de sa coquille, et finalement incapable de résister. Malgré le vocabulaire propre à l'alpinisme très présent dans le récit qui m'a un peu gênée, je l'ai lu pratiquement d'une traite.
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