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EAN : 9782253941309
192 pages
Le Livre de Poche (03/01/2024)
3.68/5   189 notes
Résumé :
Le Mans, 29 septembre 1933. Maître Germaine Brière prononce les derniers mots de sa plaidoirie. Sur le banc des accusés, les sœurs Papin, les deux bonnes qui ont tué leurs patronnes. Il est minuit passé, les jurés rejoignent la salle des délibérations.

Dans le palais désert, Germaine attend le verdict. Elle se remémore les combats de sa vie. Bientôt, elle sera l’avocate qui a sauvé les domestiques assassines ou celle qui a échoué face à une justice d’... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (82) Voir plus Ajouter une critique
3,68

sur 189 notes
Une avocate attend un verdict. Cette avocate, c'est la pénaliste Me Germaine Brière. Nous sommes le 29 septembre 1933. La Cour d'assises du Mans doit rendre sa décision dans l'affaire des soeurs Papin, les domestiques qui ont défrayé la chronique en assassinant avec une violence inouïe et sans mobile leur patronne et sa fille. Elles encourent une condamnation à mort.

Ce fait divers sordide a nourri l'imaginaire, de la pièce de Jean Genet aux films de Chabrol ( La Cérémonie ) et de Jean-Pierre Denis ( Les Blessures assassines ). Mais ici, Julia Minkowski déplace la focale sur l'avocate plutôt que sur les soeurs Papin. C'est elle que l'on accompagne dans ce moment particulier de l'attente du verdict qui décidera de la vie de sa cliente, Christine Papin, l'aînée. Un espace de narration empli de tension, un moment de cristallisation où les pensées s'échappent et l'introspection se déploie.

Julia Minkowski prend le risque de décevoir un lecteur plus intéressé par les criminelles que par leur avocate. Mais cela en vaut la peine. On sent toute la passion de Julia Minkowski, elle-même avocate pénaliste, à raconter le parcours de cette pionnière oubliée. Une femme qui impressionne par sa détermination. Elle a du s'imposer dans un monde professionnel très viriliste, jusqu'à faire un procès à l'Ordre des avocats du barreau du Mans pour pouvoir exercer ... alors que la loi autorisait les femmes à plaider depuis 1900 ... elle a du fournir un certificat de virginité pour garantir ses bonnes moeurs !

Julia Minkowski lui imagine une sensibilité, un ressenti qui touche profondément le lecteur et la transforme en personnage éminemment romanesque. On la voit s'interroger sur sa vie sentimentale, tiraillée entre son désir féministe d'émancipation loin des injonctions faites aux femmes de se marier et de procréer, et la tentation du confort apporté justement par cette convention sociale-là.

Sous les mots de sa consoeur, Me Germaine Brière s'incarne et transmet son élan vital ainsi que ses vibrations au lecteur. C'est passionnant de la découvrir sans l'exercice de son métier lorsqu'elle raconte l'élaboration de sa plaidoirie pour défendre Christine Papin en choisissant une ligne de défense très moderne : plutôt que de plaider le crime de classe, elle opte pour l'irresponsabilité pénale, l'abolition du discernement de sa cliente, réclamant inlassablement une nouvelle expertise psychiatrique.

C'est à travers son regard, ses craintes, ses convictions, ses hésitations que le crime commis par les soeurs Papin prend un autre relief, une autre dimension qui questionne le lecteur dans son rapport à la justice contemporaine.

Un premier roman très convaincant.

Lu dans le cadre de la sélection 2023 des 68 Premières fois

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Un livre basé sur un fait réel , la condamnation de Christine Papin  et Léa Papin , surnommées les soeurs Papin .Elles ont assassiné , avec une violence immonde , d' une atrocité impensable, leurs employeurs la mère Leonie et sa fille, Suite à une dispute, l'engrenage commence , une folie s'engouffre au plus profond des âmes des deux soeurs . Elles les ont enuclé, tailladé de coups de couteaux , de coups de marteaux, aucune chance pour qu'elles survivent. Elles avouent leurs crimes, elles sont enfermées pour homicide volontaire, dans l'attente du procès, Une histoire qui se déroule au Mans le 29 septembre 1933. Elle seront défendues par l'avocat Maître Germaine Briere, Une femme émancipée, qui a su braver tous les obstacles , pour devenir avocate , qui était dans un premier lieu réservé aux hommes, Nous sommes dans l'attente du verdict crucial qui dur un plus de 40 minutes, une éternité pour Germaine, Cette derniere , se pose, et se remémore des fragments de sa vie, la joie, l'amour, la tristesse, les déceptions, Sa relation, avec un homme marié, elle restera au grade de maîtresse; malgré leur amour intense, passionnel. Germaine est une battante elle veut atteindre ses objectifs, malgré la fatigue qui la gagne, elle est totalement épuisée ,Son travail est sa source de vie. le verdict tombe pour les soeurs Papin, mais également pour Germaine qui apprend qu'elle est gravement malade, qu'elle est condamnée. Un récit qui a suscité de nombreuses recherches , une histoire retranscrire avec véracité. La plume de l'auteur est percutante, sensible. La lecture est captivante et enrichissante, Une grande émotion s'est emparée de moi, en découvrant cette histoire.
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Ce roman relate une sombre affaire de meurtre : l'affaire des soeurs Papin, inculpées du double meurtre de Geneviève et Léonie Lancelin pour lesquelles elles travaillent comme domestiques.

Ce n'est toutefois pas un roman destiné à informer le lecteur des faits et gestes des deux soeurs : c'est bien plus que cela. Si effectivement le récit est entrecoupé d'informations concernant les deux meurtrières, il s'ouvre sur une attente : l'attente de Germaine Brière, avocate qui défend les soeurs, qui a terminé sa plaidoirie et qui ne connaît pas encore l'issue du procès dont la sentence est entre les mains des jurés qui délibèrent.

Une attente difficile pour l'héroïne que Julia Minkowski fait revivre sous sa plume pour nous faire découvrir une femme qui mérite de ne pas tomber dans l'oubli, une femme courageuse qui a travaillé d'arrache-pied pour devenir avocate en ce premier tiers de XXème siècle. le récit nous emmènera dans sa famille, nous présentera ses jeunes années, ses études, ses relations, ses déboires, ses combats pour accéder à un poste destinée aux hommes.

On y apprend quelques astuces pour mener à bien une plaidoirie, on s'immerge dans le domaine de la justice, on se met dans la peau de l'héroïne et on réalisme la difficulté de ce métier qui consiste à défendre des personnes bien qu'on soit conscient de leur culpabilité.

Pour les lecteurs qui s'intéressent à la question des deux soeurs présentes sur le banc des accusés, elles ne sont pas laissées de côté car Germaine, livrant son ressenti, communique les idées qui ont orienté son discours. Un épilogue vient s'ajouter pour clore le roman et informer de la suite des événements après les délibérations.

J'ai été heureuse de faire connaissance de cette femme à la forte personnalité, à l'esprit ouvert, se moquant des commérages, menant son bateau contre vents et marées.
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A partir de l'évocation d'un procès célèbre, celui qui des soeurs Papin, qui avaient dans les années 30 tué leurs patronnes, avec un raffinement de cruauté, Julia Minkowski retrace le parcours courageux d'une jeune femme qui a voulu tenir les rênes de sa propre vie, et n'a pas renoncé face aux obstacles pour mener sa carrière d'avocate.

On vit le déroulement du procès, les insuffisances de l'enquête, les biais des plaidoiries, et la subjectivité des décisions. Germaine, ou plutôt Maître Brière, souhaitait plaider la folie, qui paraît si probable quand on constate avec quel acharnement macabre la soeur aînée a mutilé sa victime, la cadette ayant vraisemblablement juste suivi les injonctions de sa soeur. Les expertises psychiatriques ne vont pas dans ce sens, et le verdict tombe : peine de mort pour l'aînée et dix ans de travaux forcés pour la plus jeune.

Si Germaine se fait remarquer par sa compétence et son éloquence, elle semble avoir plus de difficultés avec sa vie sentimentale, qu'elle subit plus qu'elle ne la choisit au gré des passions qui l'animent.

Un très beau portrait d'une jeune femme libre et déterminée, au début du vingtième siècle, et un excellent choix que celui de nous faire revivre les péripéties de cette affaire tristement fascinante. On assiste avec la même fébrilité que ressent l'avocate pendant le déroulement déroulement du procès.

Avec ce premier roman, Julia Minkowski nous montre son talent de narratrice, et sa capacité à nous emporter dans les méandres d'un fait divers suffisamment dramatique pour que cent ans plus tard, la mémoire collective s'en souvienne.

224 pages J.C. Lattès 24 août 2022
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29 septembre 1933, Cour d'assises du Mans. Peu après minuit et les dernières plaidoiries, les jurés se sont retirés pour délibérer. Ils doivent répondre à cette question principale, capitale même, puisque à l'époque la guillotine se charge encore d'exécuter le verdict : les deux soeurs Papin, employées comme bonnes dans une famille bourgeoise de la ville, sont-elles coupables d'avoir tué leurs patronnes, la mère et la fille ? Les faits sont clairs, les aveux obtenus, mais il y a néanmoins matière à s'interroger : meurtres conscients ou coup de folie ? L'ascendant de l'aînée était-il si puissant que sa cadette ait pu agir sous emprise ? Me Germaine Brière, avocate de l'aînée des soeurs, s'est posé toutes ces questions et a décidé de plaider la folie pour tenter de sauver la tête de sa cliente.

Pendant le délibéré, l'avocate attend anxieusement, doutant a posteriori de sa stratégie, par moments certaine d'avoir convaincu les jurés, à d'autres persuadée d'avoir échoué. La vie de sa cliente est en jeu, mais sa propre réputation aussi : le triomphe et les honneurs, ou la honte et l'échec impardonnable pour une femme dans ce milieu encore presque exclusivement masculin. Pourtant, à 36 ans, Me Brière est brillante, et même respectée, mais cette fois l'incertitude est totale. Son esprit inquiet s'évade, et elle se remémore son parcours, de ses études à Paris à sa carrière vouée à défendre les gens de peu dans un milieu de notables, en passant par son inscription, obtenue de haute lutte, au barreau du Mans. Un parcours semé d'embûches, dans une profession où « être femme était déjà en soi une transgression ». Des combats et des épreuves, des victoires et des satisfactions, des amitiés et des amours, c'est la vie privée et professionnelle de cette jeune femme en avance sur son temps que l'auteure nous raconte en même temps que le procès des soeurs Papin.

Le récit est fluide, le style agréable, précis sans être trop technique. Il restera le mystère entourant le mobile des meurtres, et la question de savoir quel aurait été le verdict si une expertise psychiatrique digne de ce nom avait été menée. Même si je ne l'ai pas trouvé totalement attachante, il s'agit surtout de (re)mettre en lumière une femme de convictions, pionnière dans la féminisation de la Justice.

En partenariat avec les Editions J.-C. Lattès via Netgalley.
#Pardelàlattente #NetGalleyFrance
Lien : https://voyagesaufildespages..
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critiques presse (1)
Elle
04 janvier 2023
Si maître Brière a bien existé, « Par-delà l'attente » est une fiction dont chaque détail sonne juste, tel le silence seulement percé par les bruits des talons de Germaine, lorsqu'elle retourne à sa place après sa plaidoirie. Le bruit du talent de maître Minkowski, avocate pénaliste et désormais autrice, sonne, lui, fort et subtilement.
Lire la critique sur le site : Elle
Citations et extraits (34) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
Le Mans, vendredi 29 septembre 1933.
— Nous n’implorons pas la pitié pour ces jeunes filles. Pas une seule fois je n’ai fait appel à vos cœurs. Aujourd’hui, il ne s’agit pas de pitié, mais de justice. Ce n’est que la justice que nous demandons pour celles qui sont là et qui y ont droit. Notre seul désir, c’est de pouvoir vous faire partager l’ardente conviction qui nous anime. Ce que nous vous demandons ne peut pas choquer vos consciences. Nous ne voulons que la vérité, et nous la recherchons passionnément dans cette affaire.
Germaine marqua un silence.
Elle regarda furtivement l’horloge de la salle d’audience, accrochée derrière la chaire où était perché le procureur de la République. Minuit allait bientôt sonner, elle plaidait depuis plus d’une demi-heure. Il était temps d’en finir avec sa péroraison, seule partie du discours qu’elle avait pris pour habitude d’écrire. Ma béquille pour trouver les derniers mots, se rassurait-elle.
— Vous êtes, messieurs les jurés, notre suprême espoir, celui vers lequel nous nous tournons désespérément, en vous suppliant de nous aider dans notre recherche de la vérité. Oui, aidez-nous, messieurs les jurés, aidez-nous à faire toute la lumière, faites ordonner cette nouvelle expertise mentale, nous ne vous demandons que cela. Vous ne pouvez pas nous le refuser.
Germaine entendit les talons de ses chaussures à brides résonner dans l’ancienne chapelle du couvent de la Visitation. Tandis qu’elle regagnait le banc de la défense, chaque claquement de pas s’envolait vers les voûtes du plafond, le long des six fenêtres hautes.
C’était toujours pour elle un moment embarrassant à la cour d’assises. Tel un comédien qui ne serait pas applaudi après une longue tirade, l’avocat retournait à sa place sans un bruit pour l’accompagner. L’assistance, comme affligée par la piètre qualité de l’orateur, n’avait rien d’autre à opposer qu’un mutisme lourd de sens. Mais ce malaise était le fruit d’une réflexion bien vaniteuse. Elle était la première à le faire valoir à chaque procès : on n’était pas au spectacle.
Germaine s’assit. Pour tous, c’était le signal que sa partie était terminée et que leur attention pouvait se détourner. Le président, ses trois conseillers et les douze jurés trônaient au fond de la nef. Dans le public, les plus chanceux étaient bien installés face à la cour. Les autres se tenaient debout, jouant des coudes, adossés aux murs ou agenouillés. Les tribunaliers et les échotiers étaient serrés sur les bancs de la presse, opposés à l’estrade qui accueillait au premier rang les témoins, au deuxième les avocats de la défense, et au troisième les accusées. Christine et Léa Papin.
Germaine prit une grande inspiration, à la mesure de son soulagement. Elle avait plaidé. Au fil des années, son anxiété à l’approche des audiences ne cessait de croître. Ses trente-six ans ne lui étaient d’aucun secours. « L’expérience est un peigne qu’on donne aux chauves », avait coutume de dire sa mère.
L’angoisse qui l’habitait depuis plusieurs semaines s’apaisait enfin. Les gouttes de sueur qui coulaient entre ses seins, sous le mille-feuille de sa robe d’avocat, sa veste en tweed, sa chemise en soie et son corset, seraient bientôt froides. Elle frissonna.
— Germaine, ça va ?
Elle sentit la main chaude et charnue de Pierre envelopper la sienne. Il avait posé la question à voix basse, avec l’intonation compatissante que prenaient souvent ses proches et qui l’exaspérait. Elle hocha la tête, tâchant de dissimuler son agacement. Son teint était pâle et son souffle encore court, elle le savait. Doucement, elle retira sa main. De ses doigts elle effleura les crans de ses cheveux cendrés le long de son front large et réajusta le chignon bas qui accentuait son port altier.
— Tu as été épatante.
— Ils n’ont pas compris, Pierre.
Elle l’avait senti très vite, au bout de quelques minutes. Et pour être tout à fait honnête, elle l’avait même constaté pendant la plaidoirie de Pierre pour Léa, avant qu’elle-même ne se lève pour Christine. Mais une étincelle d’espoir, celle qu’elle conservait au fond de son cœur depuis l’enfance, lui avait laissé croire qu’elle serait plus convaincante que son ancien camarade de fac. Jamais elle n’était partie vaincue à un procès ni n’avait laissé le défaitisme s’installer pendant une audience. Elle avait foi non pas en la justice des hommes – il y avait bien trop de décisions qui la révoltaient –, mais en elle-même.
Certes, sa mince silhouette faisait moins sensation dans un prétoire que la carrure d’ours de Pierre. Mais comme l’étoile d’une équipe de football, sport qui la fascinait pour ses retournements surprise de fin de match, elle était jusqu’au bout certaine qu’elle pouvait marquer le but de la victoire en plaidant. Cette ferveur était sa force. Cette fois, elle avait dû se rendre à l’évidence : elle avait fait fausse route. Sa faculté d’entrer dans le cerveau des jurés, ce don qui la caractérisait, lui avait manqué. Ce soir, elle n’avait pas su sculpter la matière grise.
— Maître Brière, la cour vous remercie. Accusées, levez-vous !
La voix claire du président prit le relais de celle, rauque et un peu voilée, de Germaine. Combien de fois avait-elle entendu le juge Beucher lancer cette injonction ? Voilà bientôt dix ans qu’elle le pratiquait, autant d’années qu’elle exerçait. Elle le connaissait par cœur. Il allait demander maintenant aux accusées si elles avaient quelque chose à ajouter. Il feindrait d’écouter avec attention la réponse, brève et mesurée, bien préparée, qu’il obtenait à chaque coup. Puis il les inviterait à poursuivre, les fixant de son regard de Méduse, sans un mot.
Meubler le silence, qui sait y résister ? Qui peut rester bouche bée quand le président de la cour d’assises, le dos voûté par son épais costume de velours pourpre, pose sur vous ses yeux, multipliés à l’infini par ceux des jurés à ses côtés ? Il espérait ainsi que l’accusé, parlant trop, écorne l’image édulcorée de lui-même que le défenseur s’était donné tant de mal à imposer à l’audience. « Tais-toi, tais-toi, tais-toi », criait Germaine mentalement, dans cet élan irrationnel qui emporte l’avocat lorsqu’il cherche à transmettre ses pensées à celui qu’il défend. En vain, le plus souvent.
Derrière Pierre et Germaine, leurs clientes respectives se levèrent, synchrones, sœurs siamoises séparées par le garde en képi posté entre elles. Son air circonspect disait qu’il avait passé là l’après-midi et la soirée à se demander comment ces jeunes femmes noiraudes et maigres, de vingt-deux et vingt-huit ans – si obéissantes, si placides, aurait-il presque ajouté – avaient pu commettre une telle abomination. À aucun moment elles n’avaient retiré leurs manteaux, comme si elles ne comptaient pas s’attarder, qu’elles n’étaient pas concernées et ne faisaient que passer. Bien coiffées, bien mises, malgré sept mois de détention. Léa Papin, fourreau en laine noir à col montant. Christine Papin, manteau croisé d’un blanc immaculé. Deux pions sur l’échiquier de la justice.
— Pour celle-ci le bagne, pour celle-là l’échafaud !
Tels avaient été les derniers mots du réquisitoire du procureur. Les avait-il écrits, lui aussi, affûtant l’estocade avant d’entrer dans l’arène ? Les entrailles de Germaine se serrèrent. Ses lèvres pleines, et au dessin régulier, se muèrent en un rictus. Le soulagement égoïste de la fin de la plaidoirie, porté par la libération d’adrénaline que procure l’exercice, était toujours de courte durée. C’était la figure de la Mort que dessinaient les volutes de fumée de cigarette qui saturaient l’air de la salle d’audience. L’assassinat de leur patronne et de sa fille par les deux bonnes, le soir de la chandeleur, le valait bien.
— Accusée Christine Papin, avez-vous quelque chose à ajouter pour votre défense ? gronda Beucher.
Les yeux clos, Christine répondit par la négative. Elle ne les avait pas ouverts de toute l’audience, et Germaine regretta de ne pas en avoir fait un argument de défense : comment juger quelqu’un dont on ne connaît pas le regard ?
Christine avait prononcé un « non » à peine audible, comme toutes ses déclarations au procès. Germaine se garda bien de le répéter tout haut. Depuis le banc des accusés, les murmures des deux sœurs étaient imperceptibles pour l’auditoire. Tout l’après-midi, elle avait été contrainte de s’en faire l’écho.
— Des enciselures, avait-elle dû préciser d’une voix forte, pour reprendre une réponse de Léa au sujet des blessures post mortem infligées avec un couteau de cuisine à Mlle Geneviève Lancelin, alors âgée d’à peine trente ans.
Une lueur d’horreur était passée d’un juré à l’autre, tel un feu follet. Il arrivait à Germaine d’oublier la prudence indispensable à l’évocation de certains détails du dossier qui, à force d’être étudiés, lui paraissaient presque banals. Les jurés y avaient sans doute décelé un manque d’empathie de sa part. Elle avait perdu un point, marqué un but contre son camp.
Le président n’essaya pas de faire parler davantage Christine Papin. Germaine se pencha vers Pierre.
— Tu vois, lui aussi sait que son sort est joué. Nul besoin d’en rajouter. Pour celle-là, l’échafaud !
Comment avaient-ils pu se fourvoyer à ce point ? Non, c’était injuste pour Pierre. Il était avocat à Tours. C’est moi, se dit Germaine, qui connais les jurés de la cour d’assises de la Sarthe, moi qui aurais dû comprendre, après le tirage au sort, qu’il fallait changer de stratégie. Comment croire que ces jurés-là, cinq cultivateurs, un charron, un charpentier, deux propriétaires terriens, tous de la campagne, pour un agent militaire et deux notaires de la ville, s’élèveraient contre le respectable président Beucher ?
Son fidèle ami Pierre Chautemps, fils de député, frère de ministre, s’était laissé convaincre de faire d’abord le voyage au Mans pour défendre Léa dans cette sordide affaire, puis de demander aux jurés de défier les magistrats en refusant, au nom de la vérité, de rendre un verdict et d’exiger à la p
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-Ces gens ne saisissent pas la notion de crime immotivé, poursuivis Louis. Le meurtre de l'absurde. L'amok. Ils n'y croient pas. Je l'ai vécu plein de fois dans ma carrière. On veut toujours trouver un mobile. Ils n'ont que ce mot à la bouche. Chaque fois qu'une affaire attire des journalistes qui ne sont pas chroniqueurs judiciaires, c'est la même histoire. "Mobile, mobile, mobile." Et là, des militants cherchent à instrumentaliser cette affaire alors qu'ils se fichent de Christine et Léa Papin. Ce qui les intéresse, c'est leur condition de domestiques. Et ils les réduisent à ça. Comme si une bonne ou une autre, c'est du pareil au même. Ils ne s'attardent pas sur leur histoire individuelle. Ils ne réalisent pas qu'elles sont folles, toquées. Entre les bourgeois qui réclament leur tête coûte que coûte, et les communistes qui veulent faire de leur crime un acte de rébellion, personne n'a intérêt à ce qu'elles soient démentes. Vous n'êtes pas aidé, pour sûr.
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La machine bourgeoise était en marche pour venger un de ses membres, et ces derniers n’hésiteraient devant aucun moyen, quitte à bafouer leur serment, pour parvenir à leurs fins. Les notables étaient mobilisés, solidaires dans l’adversité. Ils réclamaient la tête de ces pauvresses, qui avaient massacré deux des leurs. Et elle, Me Brière, que faisait-elle pour lutter contre ce rouleau compresseur? Des forces, là, dehors, n’attendaient que son signal pour prendre la défense des deux bonnes. Mais ces forces n'avaient aucun poids sur la justice. À quoi bon les actionner? Il fallait éviter ce bras de fer. Politique et justice ne faisaient pas bon ménage. p. 110-111
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D'où les aliénistes tiraient-ils une légitimité supérieure à celle des juges ? Considéraient-ils, de leur côté, que bénéficier d'un tel poids était normal ? Germaine était troublée. Leur sujet d'étude était des êtres bien vivants, qui risquaient leur peau. La procédure aurait dû prévoir de les faire assister, eux aussi aux exécutions.
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Des femmes juges sauveraient l’institution, déposeraient en offrande leur humanité aux pieds des jugements. Ces prophétesses arriveront-elles vraiment un jour pour m’épauler? songea Germaine. La loi, sœur aînée de la justice, accordera-t-elle à sa cadette le droit d’être incarnée par des femmes magistrates, des femmes jurés, comme dans les représentations mythologiques qui ornent les plafonds du palais?
Germaine observait cette pathétique société se disperser dans la salle.
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