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EAN : 9782492536250
136 pages
FR BELLES LETTR (17/05/2022)
3.74/5   29 notes
Résumé :
Une matinée bouleverse la vie de quatre femmes qui se cherchent, s’observent et se contemplent avant de se réaliser enfin pleinement dans leur féminité.

Aujourd’hui, Anne va manger chez sa mère, Louise, en présence de sa grand-mère, Paula. Mais avant, elle a rendez-vous avec Inès, son amie de toujours, dans le café qui les accueille depuis leurs années lycée. Elle sent qu’Inès a besoin d’elle. Rien n’a été explicité, mais elle l’a senti. C’est la rais... >Voir plus
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Quatre portraits de femmes. Trois générations. Un combat. Celui qui fait de leur cours un enjeu de société, prisonnier d'un modèle qui enferme les femmes dans un rôle non choisi.

Quatre voix qui se succèdent pour dire leur lassitude, leur envie de lâcher prise.

Louise a convié sa mère et sa fille pour une déjeuner dominical. Pour renouer avec la tradition. Mais aussi se débarrasser de ce secret qui la hante depuis tant d'années.

Pauly s'apprête pour ce rendez-vous familial. Ses soixante-quinze ans la rattrapent, malgré les soins quotidiens, au gré des arcanes que vantent les magazines. le corps n'est pas un ami fidèle, mais ses défauts ne sont pas rédhibitoires.

Anne, sur le chemin de la rencontre avec sa mère et sa grand-mère, accordera un instant à son amie Inès, qui nous aura confié sa douloureuse expérience d'un avortement assumée seule. Les deux jeunes femmes reviendront sur la fragilité des liens amicaux, sans cesse menacés de rupture, noyés au coeur des multiples sollicitations quotidiennes.

Ces instantanés, isolés dans le flux de ces vies de femmes construisent une sorte d'échéancier des écueils semés sur le trajet d'une histoire féminine, sous le joug d'injonctions permanentes :

« Il faut sans cesse jouer à l'acrobate, passer d'un rôle à l'autre, correspondre à ce qui a été prévu pour nous, attendu de nous puis osciller vers ce qu'on voudrait être. Jongler entre deux visages, deux figures, parce qu'on est toujours plus qu'un simple corps »

Le thème du corps est au coeur du récit, corps contrôlé, corps souffrant, corps convié à l'enfantement, corps vieillissant…soumis aux diktats de l'époque.

Enfin, de ces contraintes subies, émerge une belle ode à la sororité, à la solidarité, seul espoir de sortir d'un rôle impossible à tenir .

Très bel hommage à la féminité, écrit avec une douce fermeté, une puissante tendresse.

134 pages Frison - Roche 17 mai 2022
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💞Chronique💞

« Une alliance sororale indéfectible, une intercompréhension féminine à laquelle chacune est conviée. »

C'est l'idée de Louise. Elle décide de réunir sa mère et sa fille, un dimanche, pour la joie de se réunir entre femmes, autour d'un repas, et peut-être, l'occasion de faire éclater les mots et les silences des maux, au féminin…Parce que le corps, l'écoute, l'entente ont besoin d'espace et de bulle protectrice, pour faire leurs places…
L'idée de Louise est pertinente, nécessaire, enthousiasmante. Les femmes doivent pouvoir parler librement, sans filtre, de leurs peurs et de leurs joies, de leurs attentes et de leurs peines, de leurs souffrances et de leurs états qui font d'elles, des êtres humains et des corps vivants, à part entière. Choisir un jour, un lieu, pour en faire un rituel de lien social et solidaire, c'est à la fois magique et ordinaire, mais étonnement puissant…
Elles se retrouvent toutes, à un point de leurs vies, où leurs paroles ont envie d'aller vers l'autre, d'interagir, de donner, de confier, d'aider. Que ce soit Louise, Paula, Ines, ou Anne, elles sont prêtes. Elles sont prêtes, parce qu'elles ont dépassé leurs douleurs, leurs craintes, leurs fébrilités. On les suit chacune dans leurs parcours de femmes, plus ou moins épanouies, plus ou moins heureuses, plus ou moins affirmées, mais on sent, que ce repas dominical, sera le début du changement…Pour elles, pour nous, pour toutes, dans une certaine mesure, parce que cette idée de sororité, est empowerante. Toutes ont été confrontées à une réalité de leurs corps et ses changements, qui lui est propre mais en même temps, qui est universelle, puisque ce sont des étapes charnières de la vie d'une femme, et c'est toutes ces manières de vivre et d'être femme, qui viennent nous toucher en plein coeur ou, directement dans les tripes…
J'ai été bouleversée par Les Naufragées. Chacune a une errance singulière, une expérience de vie à dévoiler, un équilibre à retrouver, un rôle à jouer pour devenir la meilleure version de sa féminité. C'est fondamentalement dans l'air du temps, et c'est pour cela, que j'ai été attirée par cette histoire. Les thèmes abordés sont intéressants et ce roman choral parle de désir, au féminin. Chacune a le sien, et je ne vais pas vous spoiler leurs secrets, mais je vous invite à ardemment à y prêter l'oreille…C'est une lecture revendicatrice et très douce, qui a su m'emporter...J'étais bien avec elles, et j'ai le désir que vous les rencontriez aussi, dans ces pages…
Si le coeur vous en dit, vous êtes convié.e.s autour de la table, ou encore à l'idée révolutionnaire de la sororité. On vous y attends avec une certaine impatience!


« Anne se demande si elles ne sont pas toutes des sorcières ou des enchanteresses rassemblées par des liens qui les dépassent. Un « Elles », définitivement au pluriel, qui s'ancre partout où il va. »
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«Une alliance sororale indestructible»

C'est avec trois générations de femmes que Manon Hentry-Pacaud entre en littérature. Paula, 75 ans, Louise, 47 ans et Anne 27 ans vont tour à tour se livrer dans cette belle réflexion sur le corps féminin.

Paula a 75 ans. Sa fille Louise 47 ans. Sa fille Anne 27 ans. Trois générations et trois femmes qui se préparent à un rendez-vous fixé ce dimanche à midi. C'est à l'initiative de Louise que ce repas a lieu. C'est elle qui a eu l'idée de réunir sa mère et sa fille pour resserrer les liens qui les unissent.
Alors c'est d'abord Louise que l'on va suivre durant ses préparatifs. Elle s'est levée aux aurores pour pouvoir tout préparer sans se stresser. Elle va avoir le temps de faire mijoter son boeuf bourguignon, de dresser une belle table, de soigner sa mise. Elle va même avoir le temps, après un rapide coup de balai, de se replonger dans ses albums-photo, de replonger dans sa vie. Et de se rappeler l'épisode si douloureux qu'elle a vécu, ce secret qu'elle ne veut plus cacher. Sa fausse couche a vingt-cinq ans et ce traumatisme que la bienséance recommandait de minimiser. En place de «cette vie à deux qui se consolide et se complète avec la construction d'une famille» elle avait basculé dans un «fossé qui s'était creusé entre son mari et elle, fossé qu'elle avait peut-être elle-même créé pour lui faire sentir qu'elle n'était pas la seule responsable, pour se soulager de ne pas avoir réussi à protéger son enfant et à lui donner la vie.»
C'est pourquoi, elle a eu cette idée d'écarter son mari et de construire avec Paula et Anne une alliance sororale indestructible.
Paula, qui ne sait rien de ce projet, se prépare. Après sa douche, elle se regarde dans le miroir et voit les ravages de l'âge. En se faisant belle, elle comprend qu'elle a succombé à tous ces diktats, toutes ces représentations sur papier glacé, ces corps qui n'ont ni vergetures, ni cellulite. Désormais, elle va assumer ses défauts et son âge.
Avant de passer à sa petite-fille, Manon Hentry-Pacaud a l'idée d'introduire un nouveau personnage, celui d'Inès, la meilleure amie d'Anne. Cette dernière lui a donné rendez-vous dans un café pour se délester d'un lourd fardeau. Elle vient d'avorter.
En se rendant chez sa grand-mère, la jeune femme est encore toute secouée par cette révélation, mais aussi forte d'une certitude, «c'est du corps féminin que tout part.»
Ce premier roman, d'une écriture à la fois classique et simple, est construit autour de ces portraits de femmes qui se répondent et se complètent. le fantôme (Louise), la comédienne (Paula), la disparue (Inès) et l'acrobate (Anne) forment par-devers les destins particuliers, cette alliance tant espérée. Sans occulter l'ampleur de la tâche, ce premier roman est une pierre de plus apportée à l'édification d'une société qui ne serait plus dominée par le masculin.


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On est dimanche, il est midi. Louise a invité sa mère, Paula, et sa fille, Anne, à venir déjeuner. Ce n'est pas la première qu'elles se retrouveront toutes les trois, mais Louise veut faire de cette réunion une tradition. le dimanche, à midi, le temps sera consacré à elles, aux mots cachés derrière les silences, aux regards qui ne seront plus fuyants et à ce poids que chacune cherche à alléger…

Les Naufragées est un premier roman tout en finesse, tout en poésie, tout en délicatesse, sur ce qu'être une femme aujourd'hui.
Avec des mots et une écriture maîtrisés, Manon Hentry-Pacaud nous offre avec justesse les rêves, les blessures, les regrets et les devoirs qu'on associe aux rôles qu'on nous étiquette : une mère, une grand-mère, une jeune femme…

Si chacune a décidé de lever le voile sur ses démons intérieurs, mettre des mots sur ses silences, sur ses secrets, sur ses douleurs inavouées n'est pas chose aisée.

Il faut du courage, de l'énergie, de la patience pour s'accepter soi et trouver la force de se dire, de se pleurer, de s'affirmer.

Merci aux 68 premières fois pour cette jolie découverte…
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❝sororité : le mot dort sous terre, on le croit mort, il va se réveiller.❞
Chloé Delaume, Sororisation générale

❝Il faut sans cesse jouer à l'acrobate, passer d'un rôle à l'autre, correspondre à ce qui a été prévu pour nous, attendu de nous puis osciller vers ce qu'on voudrait être. Jongler entre deux visages, deux figures, parce qu'on est toujours plus qu'un simple corps.❞

Le corps féminin est l'une des grandes affaires du premier roman de Manon Hentry-Pacaud. Les Naufragées : quatre portraits de femmes juxtaposés à quatre moments de la vie pour aborder quatre thèmes. Un roman choral sans l'être tout à fait donc, exclusivement féminin, puisque le mari de Louise est congédié abruptement dès les premières pages, lui qui pensait peut-être pouvoir profiter de son dimanche chez lui. Merci, Louise !

Louise est ❝Le Fantôme❞ du premier portrait : elle est la fille de Paula et la mère d'Anne. Entre deux âges donc. Elle souhaite inaugurer la tradition d'un repas qui les réunirait toutes les trois chaque dimanche. On la découvre s'affairant en cuisine, soucieuse d'éviter la fausse note, anxieuse des réactions à venir. le plat mijote et elle dresse la table avec soin non sans prendre le temps de parcourir des albums photos, de la paperasserie gardée comme on garde une trace pour s'assurer que cela a existé.

❝Face à toutes ces preuves de vie, ce matérialisme opulent que Louise a elle-même muséifié, elle comprend que ce voyage dans les années écoulées la confronte aussi à tout ce qui n'a pas bougé, ce qui n'a jamais été dépassé.❞

Paula est ❝La Comédienne❞ du deuxième portait. Une femme vieillissante qui accepte mal ce corps qui la trompe, qui chaque jour qui passe a de plus en plus de mal à se conformer aux diktats esthétiques imposés par la société, alors qu'elle en a toujours pris et continue d'en prendre le plus grand soin, alors qu'elle se perd dans les miroirs à force de s'y scruter. Paula se prépare pour se rendre chez Louise et elle se demande si, après tout, il ne serait pas temps d'enfin s'écouter, de cesser de s'enfermer dans un rôle voulu par la société mais qui ne lui correspond plus.

❝Quand a-t-elle commencé à être vieille, à se voir définie comme telle dans son regard et dans celui des autres ? Elle l'ignore. Elle ne sait pas quand elle a commencé à sentir son corps, sa peau, lui échapper, mais elle est âgée, maintenant, une vieille femme, une grand-mère. Elle a atteint le stade fatidique, reçu l'étiquette qu'elle arborera sur la poitrine pour le restant de ses jours. Et Paula n'arrive pas, plus, à savoir si cela lui déplaît ou si elle se trouve enfin aux frontières d'une apogée à laquelle elle a toujours aspiré.❞

Ines est ❝La Disparue❞ du troisième portrait. L'amie d'Anne. Anne, sa presque soeur, son inséparable, celle capable de lui faire traverser n'importe quelle épreuve. Anne, vers laquelle elle se hâte en ce jour, comprendra-t-elle ? Aura-t-elle les réponses aux questions qui tournent jusqu'au vertige dans sa tête depuis qu'elle a pris la décision qui continuera à la hanter chaque jour de sa vie ?

❝Quelque chose en elle n'existe plus, est parti, elle l'a évacué, tué, fait disparaître. Elle-même se sent presque écrasée, occultée, par des jugements implicites. Elle s'évapore, devient un peu plus évanescente, coincée entre deux horizons, entre plusieurs points de vue parmi lesquels elle ne se retrouve plus.❞

Anne est ❝L'Acrobate❞, en équilibre entre sa grand-mère, sa mère et son amie. Anne qui prend appui sur le passé pour se projeter vers l'avenir. Anne, animée d'une farouche volonté, Anne qui

❝voudrait… […] voudrait…

Anne voudrait tant de choses. Anne voudrait révolutionner tout ce qu'il y a encore à révolutionner. Ne pas tenir ces discours que pour elle-même. Que chacun en prenne acte et conscience. Que les choses bougent et arrêtent de stagner.

Anne voudrait participer au changement. Anne voudrait faire partie d'une génération libératrice ? Anne voudrait que toutes les femmes d'avant ne se disent pas qu'elles ont travaillé et se sont battues en vain.❞

❝Ancrage❞/❝ancré❞ sont des mots-petits cailloux que sème Manon Hentry-Pacaud à intervalle régulier dans ce roman sur le temps qui passe, sur les traces qu'il laisse, celles qu'il efface, celles qu'on souhaite oublier, celles qu'on voudrait creuser plus profondément. Sur les hésitations qui nous constituent et nous définissent souvent mieux que les certitudes.

Et alors ?
Quoi de neuf ?

À la lecture de ce billet aussi plat que ❝la conversation de Charles❞, elle-même ❝aussi plate qu'un trottoir de rue❞ (l'ami Flaubert), vous vous dites que j'ai dû passablement m'ennuyer et vous avez raison. L'écriture est simpliste, monocorde, lancinante car gangrénée de répétitions ; la litanie des prénoms (écueil difficile à contourner quand le choix a été de dédier un chapitre à chacune de ces femmes, j'en conviens) est pénible. La syntaxe se résume à de courtes phrases juxtaposées, analytiques qui, pour moi, ont été un frein à l'émotion et à l'empathie. Où que se pose l'oeil ce ne sont que faiblesses, doutes, le marasme de la vie qui passe, un futur qu'on peine à imaginer et, pour dire le vrai, je n'en peux plus des personnages qui ne savent que geindre de leur condition et qu'à l'opposé de l'objectif recherché, on enferme dans une caricature d'eux-mêmes, impression renforcée ici par le choix de l'autrice de coller une étiquette — Fantôme, Comédienne, Disparue, Acrobate — à ces femmes.
Ce genre de roman au XXIe siècle est dépassé, me semble-t-il. J'aurais aimé lire autre chose que des clichés, je crois que les femmes valent mieux, méritent mieux.

Et que dire de l'absence de correction éditoriale qui m'a cueillie dès les deux premières pages, manquant me faire lâcher le livre ?

Première phrase :

❝Louise appuie sur la tranche du vieux livre de cuisine que sa mère lui a transmis il y a quelques années […] pour craqueler la reliure déjà fragilisée et la maintenir en place.❞

Il ne s'agit pas de la tranche, mais du dos du livre.

Deuxième page :

❝La simplicité prône sur tout le reste.❞

Prôner sur ? Vraiment ? Primer, peut-être...

Il m'a coûté d'aller au terme de cette lecture dont, au surplus, je n'ai toujours pas compris le titre.

Premier roman, lu pour la sélection 2023 des #68premieresfois


Lien : https://www.calliope-petrich..
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
(Les premières pages du livre)
Louise
Louise appuie sur la tranche du vieux livre de cuisine que sa mère lui a transmis il y a quelques années, par souci de tradition, pour craqueler la reliure déjà fragilisée et la maintenir en place, tandis qu'elle s'efforce de suivre les étapes de la recette. Ce dimanche, elle a enfilé son tablier bleu, celui qu’elle ne porte que lorsqu'elle s'attelle à de grands repas et qu’elle accueille des invités. Elle trouve que cela fait plus chaleureux, que cela correspond à l’image de la bonne cuisinière qu'elle s'est toujours faite, mais qu'elle ne respecte jamais, parce qu’elle n'a pas le temps, le soir, en rentrant du travail, et parce que sa cuisine quotidienne repose sur la simplicité. Mais ce dimanche-là est différent. Elle reçoit, et cela change tout. Elle n’accueille pas n'importe qui, elle a toujours réservé le repas dominical à sa famille, et, à partir de maintenant, elle veut instaurer une nouvelle tradition, celle qu’elle aurait voulu voir émerger lorsqu'elle avait l'âge d'Anne, et peut-être même avant.
Elle a invité sa mère et sa fille à déjeuner. Un repas de fête à trois. Une ouverture vers un conciliabule féminin.

Ce n’est pas grand-chose, mais même dans ces cas-là, ses habitudes épicuriennes demeurent. La simplicité prône sur tout le reste. Peut-être aussi parce qu'elle n'est pas faite pour davantage d'élaboration et de complexité. Elle a toujours évité les obstacles, les omettant pour nier leur existence. Bien sûr, il y a une difficulté qu'elle n'a jamais pu éviter, jamais pu oublier. Mais le frisson qui la saisit la recentre sur sa tâche principale: elle doit couper ses carottes en rondelles pour son bœuf bourguignon.
Louise aime bien les tâches mécaniques, automatiques celles qu'on répète et pour lesquelles seule une concentration minime est requise. Au son brut, régulier et tranchant du couteau sur la planche à découper, ses pensées et ses souvenirs s’égarent. Il est tôt, elle s'y est prise en avance. Elle se veut toujours ponctuelle, toujours droite, toujours digne, fiable. Un roc sur lequel on peut compter, un point d'ancrage entre les générations. Sans qu’elle s’en rende véritablement compte, c'est en partie la raison pour laquelle elle s’est réveillée aux aurores et a déjà commencé à s’activer dans la cuisine. Louise a parfois l'impression d’être le ciment de la relation entre sa mère et sa fille, bien qu’elle n'ait jamais été invitée à leurs retrouvailles secrètes. Auprès d'elles, Louise est double, à la fois mère et fille, seuil de transition entre les générations auxquelles Paula et Anne appartiennent. Parfois, elle n’arrive à discerner qu'un sentiment de filiation, d'appartenance, une convention, un respect mutuel, dans la relation qu’entretiennent les deux femmes. Et parfois, quand cela leur échappe en sa présence, elle voit aussi émerger entre elles un amour indescriptible et omniprésent qu’elle n'arrive pas véritablement à décrire. C’est simplement un mélange de tout ce qu'elle parvient à nommer. Quelque chose de flou, mais qui existe néanmoins, bien que les autres ne s'en aperçoivent pas toujours. Alors, c’est le rôle qu’elle a décidé de se donner, celui de tisonnier. Louise veut leur montrer qu’il y a plus entre elles que la relation qu’elles ont toujours entretenue, cette relation qui va vers l’avant, de l’une vers l’autre, sans pour autant les lier de façon visible. Une grand-mère avec sa petite-fille. Et elle qui se retrouve au milieu, impliquée et invitée sans l'être véritablement.

Et puis, un jour, l’idée lui est venue. Pour qu'on sente sa présence, elle sera l'arbitre. Chaque dimanche, elle les réunira, réinventera la solennité et la sacralité de ce jour pour le féminiser et le familiariser. Louise unifiera sa fille et sa mère, parce que, si elle est à part, si elle n'a jamais véritablement compris les pensées muettes et distantes de sa mère, ni les questionnements et craintes silencieuses, opaques, de sa fille, elle sent, elle sait que toutes deux se ressemblent et se sont toujours répondu. Elle l’a toujours su au fond d'elle-même: elle est l’intermédiaire entre deux générations qui partagent et traversent les mêmes considérations et interrogations. Voilà la raison de la distance, du partage qu’elle sent en elle.

Soudain, elle pousse un léger cri de surprise et de douleur au moment où le couteau dérape sur son doigt. La sensation d’une goutte de sang chaud coulant sur sa peau sèche achève de la tirer hors de ses pensées. Elle soupire, repose l'outil et le légume sur la planche à découper, et rince la plaie dans l’évier, avant de se diriger vers la salle de bains pour y trouver un pansement.

Louise traverse les pièces silencieuses. La maison est vide. Anne n'y vit plus depuis déjà deux ans, elle est partie faire ses études et entamer sa vie d’adulte ailleurs.

Elle ne lui en veut pas, elle ne le peut pas, c'est dans l’ordre des choses. Elle-même en rêvait à son âge. Mais elle lui manque; indubitablement. Elle sait qu'elle ne devrait pas penser cela, que cela apparaît comme particulièrement animal, et égoïste aussi, quelque chose de sauvage, de félin, mais elle a l’impression que, sans sa fille, un trou béant s’est creusé dans sa poitrine, qu'une partie de ses entrailles lui manque, là où elle s'est préparée à sa venue avec angoisse et impatience pendant neuf mois. Mais peut-être que cette part de néant qui sommeille en elle existait déjà avant Anne. Elle l'avait déjà perdue avant son arrivée. En avait été privée, volée avant même qu'elle ne naisse.

Son mari est absent, lui aussi. Volatilisé. Comme elle le lui a demandé, à vrai dire. Elle ne veut pas de présence masculine chez elle aujourd’hui. Même si c’est aussi un peu chez lui et qu’il pourrait légitimement vouloir retrouver sa fille, le dimanche ne lui appartient plus. Elle l’a fait sien, leur, désormais, à elle et au trio féminin familial qu’elle cherche à construire. Plus qu’une succession de sauts entre générations, c’est un ensemble cyclique et complémentaire qu'elle veut constituer.

Louise monte les marches en bois de son escalier en frôlant la rampe du bout des doigts. Elle a l’impression d'y sentir la présence de sa fille quand elle avait sept ans. Elle était alors d’une espièglerie sans fin. Elle s’accrochait la rampe et y glissait comme sur un toboggan, sous les yeux affolés de sa mère qui étaient, avec sa respiration, les seules traces physiques de l'inquiétude qu’elle der se devait de garder en elle, dans le creux de son ventre, pour ne pas la brimer, pour la laisser vivre loin de ses bras protecteurs et sans doute étouffants — ils l'avaient été pendant un temps, elle en avait conscience, même si elle avait encore du mal à l'admettre -, tandis que son père se contentait de regarder sa fille en riant. Il disait sans cesse à Louise qu’elle faisait simplement comme tous les autres enfants, que c'était tant mieux, très bien, même, mais cela ne suffisait pas à calmer son anxiété latente. Et pourtant, maintenant que le poids qui la compressait s'est envolé, elle y repense avec le sourire, s'inquiète pour d'autres choses. Le monde avance, celui des autres et celui qui la concerne, et elle évolue avec lui.

Louise ouvre la porte blanche de la pièce d’eau et note mentalement qu'il faudrait la repeindre, elle s'écaille par endroits et se gondole un peu avec l'humidité. La liste de choses à faire s'allonge et les journées lui paraissent toujours trop courtes et trop pleines. Elle les remplit toujours trop rapidement. Peut-être que la retraite lui fera du bien. Mais elle ne veut pas y penser. Elle ne veut pas se sentir vieille trop vite, tomber dans la crise de la cinquantaine qui semble être un phénomène inéluctable, une étape à laquelle on échappe difficilement.

Elle se dirige vers l'armoire à pharmacie dont le contenant a bien évolué depuis qu'Anne a grandi. Le nécessaire est toujours là, mais les sirops d'enfant à la fraise, l’Advil et le Doliprane ont disparu, comme les pansements colorés que les enfants des voisins enviaient quand ils venaient jouer ici avec Anne, et qu’elle leur donnait sans mesure, juste pour voir leurs sourires. Elle opte pour un pansement beige, simple, efficace. Encore ce diptyque qui rythme sa vie. Il le faut bien. C'est principalement ainsi qu'elle s'est forgée, pour tenter de se protéger. Elle rince à nouveau son doigt, qui a continué de saigner pendant Le trajet, avant de défaire les protections et d’enrouler le pansement autour. Sans perdre plus de temps, Louise reprend le chemin de la cuisine.
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Elle a l'impression de pouvoir pénétrer l'indicible et l'invisible dans les portraits de femmes qu'elle rencontre et côtoie, qu'ils soient proches ou lointains, connus ou anonymes. Anne voit les visages se démultiplier, se comprendre sans le dire alors qu'ils ne font que passer et s’entrecroiser sur un trottoir défait, s’écouler, s’écouter, s’allier et surtout se rejoindre et se soutenir. Tout cet entremêlement dans l'imperceptible, l'insaisissable et l’indécelable. La formation d'une communauté secrète, puissante et inarrêtable.
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Anne sait qu'elle est bien plus qu'un corps, bien plus qu'une chair dont on sent la réalité pure et dure. Elle est une toile. Un voile, une feuille sur laquelle sont projetées des intériorités multiples qui se disent, se répondent, se comprennent, s'écoutent, se consolent et se soutiennent; une toile tissée à partir du fil d'une histoire de sororité et de féminité, sur lequel les femmes qui la relient évoluent, d'arceau en arceau, tel des équilibristes. p. 120
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Mais Louise ne voulait pas recommencer, tout reprendre à zéro, faire comme si ce moment n'avait pas existé ou presque, comme s'il n'avait été qu'un moyen de se propulser dans la vie adulte. Louise avait vingt-cinq ans et elle devait se retenir de crier qu'elle était brisée. Pour vous ceux qui venaient lui tenir de grands discours, c'était évident de parler d'ouverture sur le monde, sur l'extérieur, sur cette vie à deux qui se consolide et se complète avec la construction d’une famille. Ils ne voyaient pas le fossé qui s'était creusé entre son mari et elle, fossé qu’elle avait peut-être elle-même créé pour lui faire sentir qu’elle n’était pas la seule responsable, pour se soulager de ne pas avoir réussi à protéger son enfant et à lui donner la vie. p. 47
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Elle a l'impression de pouvoir pénétrer l'indicible et l'invisible dans les portraits de femmes qu'elle rencontre et côtoie, qu'ils soient proches ou lointains, connus ou anonymes. Anne voit les visages se démultiplier, se comprendre sans le dire alors qu'ils ne font que passer et s’entrecroiser sur un trottoir défait, s’écouler, s’écouter, s’allier et surtout se rejoindre et se soutenir. Tout cet entremêlement dans l'imperceptible, l'insaisissable et l’indécelable. La formation d'une communauté secrète, puissante et inarrêtable. p. 106
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