Citations sur La Mer de la fertilité, tome 1 : Neige de printemps (51)
Ses beaux yeux se mouillaient assurément de larmes, mais des larmes bien différentes de celles que jusqu'à présent il avait redoutées. C'étaient choses vivantes que l'on taillait en pièces. Ses yeux contenaient le regard terrible d'une personne qui se noie et il ne pouvait supporter de le sentir fixé sur lui.
Il sépara les jupes de son kimono et entreprit d'écarter l'imprimé de Yuzen des jupons de soie, formant un enchevêtrement éblouissant de dessins éraillés et de phénix resplendissants qui s'élevaient au-dessus de nuées stylisées.
Jusque-là, il avait ressenti, quoique modérément, le désir de faire connaissance avec l'Occident. Mais, à présent que toute son existence se concentrait sur un objet unique, sur une partie du Japon toute petite mais d'une beauté exquise, il était rempli du sentiment de choses informes en regardant la carte du monde étalée devant lui ; non seulement du fait de ce vaste assemblage de pays étrangers, mais même à la vue de l'image du sien, teinte en rouge et recourbée telle une crevette au flanc de l'Asie. Son Japon à lui était d'un vert tendre, pays indistinct, débordant d'un pathétique aussi pénétrant qu'une brume qui monte.
Une noblesse creuse - voilà ce qui reste de moi.
"Cette année était mienne - et la voilà disparue, s'écria-t-il pour lui seul. Disparue ! Tout comme un nuage qui se dissout." Les mots jaillissaient hors de lui, cruels et sans contrainte, le fouaillant, aggravant son supplice. Jamais encore, il ne s'était abandonné à une telle frénésie. "Tout m'est devenu amer, jamais plus je ne me sentirai emporté de bonheur. Il y a, dominant toutes choses, une effrayante clarté. On dirait que le monde est fait de cristal, si bien qu'il suffit d'un coup d'ongle pour qu'un frisson léger le parcoure d'un bout à l'autre... Et puis, la solitude - c'st une chose qui vous brûle. Comme un potage épais, brûlant qu'on ne peut garder sans sa bouche, qu'en soufflant sans cesse dessus. Le voilà, toujours placé devant moi. Dans son gros bol blanc, d'épaisse porcelaine, sali et terne comme un vieil oreiller. Mais qui donc continue à vouloir me le faire avaler de force ?
Son propre coeur lui parut fort ressembler à une flèche dépouillée des plumes blanches étincelantes qui la guident dans son vol.
Sa moustache raide avait la nuance lustrée d'une fougère après la pluie.
- Tu en as pris ton parti, n'est-ce pas ? Le jour viendra où tu vas tout oublier, n'est-ce pas ?
- Oui. Bien que je ne sache pas encore très bien comment je pourrai faire. Le sentier que nous suivons n'est pas une route. Kiyo, c'est une jetée et là où elle s'achève, c'est la mer qui commence. On n'y peut rien.
Il ne fait aucun doute qu'il va tout droit au drame. Ce sera de toute beauté, certes, mais faut-il qu'il gâche sa vie entière pour l'offrir en sacrifice à une esthétique éphémère - comme, d'une fenêtre, on surprend l'oiseau en plein vol ?
Le baron Shinkawa se plaisait à considérer que sa sensibilité ressemblait ) un objet d'argent bruni. Rien ne venait en troubler le lustre parmi les affinités de sn foyer, mais il n'était pas plutôt plongé dans la fréquentation vulgaire du monde extérieur que sa surface soigneusement polie commençait à se ternir. Souffrir une seule conjoncture comme celle-ci suffisait à l'enrober d'une fine pellicule.