A la bibliothèque, je lis la presse. J'apprends des choses.
30 000 personnes ont disparu pendant la dictature. Disparues, pas tuées. Disparues. On dit qu'à l'école de mécanique de la marine (qui s'appelle l'Esma) on torturait les opposants puis qu'on les faisait monter dans des avions et qu'on les jetait vivants dans le fleuve Rio de la Plata qui borde la ville. Tu imagines ça ? Jetés vivants dans le fleuve ?
Quelque chose n'a plus lieu.
Quelque chose avait lieu qui n'a plus lieu. Quelque chose était simple et devient compliqué. Quelque chose était insouciant et devient inquiet. Quelque chose tout puissant sent ses forces capituler.
Depuis toujours et partout c'est comme ça. Aucun endroit où elle puisse poser son corps sans chercher les issues, aucune place dont elle puisse dire Ici c'est ma place. C'est une idée fixe, bouger, qui a fini par ne plus être une idée mais la totalité de ce qu'elle est, une idée sans y penser, plus importante que le plus important.
Dire Je t'aime, c'est se souvenir d'un temps où je ne t'aimais pas, c'est envisager celui où je ne t'aimerai plus. Dire Je t'aime serait donner une fin à l'amour.
Je lui donne l'infini silence de mon amour.
Elle a gardé d'elle le souvenir d'une femme gentille. Gentille, un autre adjectif englobant qui dit tout et rien, qui fige mais n'incarne pas.
Michel a possédé cinq ou six barques, elles étaient sa liberté, son foutez-moi-la-paix....mais lorsqu'on lui a volé la dernière, il ne l'a pas remplacée. Il ne pêche plus de toute façon : - Il faut un permis et moi, ça ne m'intéresse pas, les choses pour lesquelles on doit demander un permis.
Mamie Poulet....Je me fiche de ce qu'elle pense. Avec ses lunettes fumées on dirait le dictateur de la Pologne, Jaruzelski.
Elle aurait préféré un père qui sache transformer son fardeau en force plutôt que cet homme qu'on échoue à consoler.
(P321)
J’apprends que Sébastien est un va-et-vient, son courant alternatif me torture. Il me délaisse pour mieux me retrouver, ainsi tournoie notre valse. Je suis de celles qu’on abandonne, il est de ceux que rien n’attache. Disons que nous sommes faits l’un pour le trou de l’autre. Je commence une collection de ses disparitions.
C'est peut -être simplement cela, être romancière : avoir des livres qui poussent dans les interstices de tout.