Si on ne peut pas changer le passé, on ne peut pas non plus l’ignorer; il aide à comprendre et à vivre le présent. Il est un socle sur lequel s’appuyer pour bâtir l’avenir.
"C'est des hommes dont je dois me méfier, se dit-il. Pas des bêtes."
- Billy ne devrait pas avoir à fuir au Canada ! s'entêta Emrey. Ce pays est aussi le nôtre, à nous dont les ancêtres sont venus d'Afrique. Il n'est pas seulement celui des Blancs. Nous sommes américains, comme eux !
Billy écoutait avec passion. C'était la première fois qu'il entendait un garçon de son âge s'exprimer comme Emrey. D'ailleurs, jamais il n'avait entendu personne s'exprimer ainsi ! Et Emrey avait raison : ce pays était le sien. La plante de ses pieds avait foulé son sol depuis la lointaine Géorgie jusqu'aux plaines de Pennsylvanie. Cette terre lui avait procuré nourriture, abris, cachettes. Il en avait goûté les fruits. Il avait bu l'eau de ses rivières. Il en avait respiré les parfums. Il avait côtoyé sa faune. Il avait vu à quel point ce territoire était vaste, magnifique et sauvage. Il y avait souffert, et il avait survécu. Et pourtant, s'il voulait vivre libre, il devait le quitter.
"Ce n'est pas juste", songea t-il.
Jamais Billy n’avait rencontré un Blanc comme lui. Un Blanc pour qui la couleur de peau ne comptait pas. Car jamais Franck n’avait eu le moindre mot ou le moindre geste laissant supposer qu’il avait remarqué que Billy était noir. C’était comme s’ils avaient été pareils tous les deux.
« Pareils ».
Parfois, quand il était seul, Billy murmurait ce mot :
– Pareils…
Il sonnait étrangement à ses oreilles.
« Pareils ».
Ce n’était qu’ici, dans la clairière de la Swan Cabin, qu’il pouvait y croire. Là d’où il venait, ce mot n’existait pas.
Billy sursauta et regarda autour de lui. Il était seul. Seul avec le ciel qui lui offrait sa splendeur glacée, et ce message qui prenait tout son sens :
« Marche à l’étoile, Billy. Marche à l’étoile, même si elle est très haute ! L’Etoile du Nord mène à la liberté… »
La liberté… Le mot lui donna le vertige.
Si on ne peut changer le passé, on ne peut pas non plus l’ignorer ; il aide à comprendre et à vivre le présent. Il est un socle sur lequel s’appuyer pour bâtir l’avenir.
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Ou alors, se souvenant des comptines de son enfance, il chantonnait:
Avec vos petites dents, rongez la, rongez la, rongez la corde
Avec vos petites dents, sciez la, sciez la, sciez la corde
Avec vos petites dents, rongez et sciez, rongez et sciez
Avec vos petites dents, vous allez la casser, la casser, casser la corde !
Ni la solitude, ni la montagne ni les bêtes sauvages ne l’effrayaient. C’étaient les hommes qu’il craignait.
« Les constellations dessinent des figures dans le ciel. Chacune raconte une histoire... »
Si on ne peut changer le passé, on ne peut pas non plus l'ignorer ; il aide à comprendre et à vivre le présent.