Citations sur La folle du logis (50)
Je me rappelle la première fois où j'ai compris que la mort existait. J'avais environ cinq ans et je lisais -Le Géant égoïste-, ce merveilleux livre pour enfants d'Oscar Wilde. Le conte terminé, j'ai appris en regardant le revers de la jaquette que l'auteur était mort depuis plusieurs années. Je ne pouvais évidemment pas mesurer le temps écoulé mais je savais que cela faisait très longtemps : de fait, il était mort avant ma naissance. Et mourir, je l'ai soudain, c'était n 'être nulle part. Ni caché ni endormi, ni se trouver dans une autre pièce ou une autre maison. Cet homme n'était plus et ne serait plus jamais. cette chose impossible, impensable, pouvait arriver. et pourtant, celui qui n'était plus pouvait me raconter son histoire merveilleuse. Je pouvais encore lire-écouter ses mots. C'est là, je crois, une des raisons pour lesquelles je suis devenue écrivain. (p. 125)
Isaiah Berlin dit qu'il y a deux types d'écrivain, les hérissons et les renards. Les premiers se mettent en boule et tournent autour du même sujet, les seconds sont des bêtes itinérantes qui suivent sans cesse des chemins différents. Il ne s'agit pas de classification hiérarchique mais simplement descriptive. (p. 129)
Notre imagination, ce talisman secret caché comme par hasard sous la langue, confère de la beauté à tout ce qu'elle touche . Voilà pourquoi nous rêvons, nous écrivons, nous créons: pour tenter d'approcher la beauté du monde, aussi impossible à embrasser que le lac de Constance. (...)
Nous passons ainsi notre vie à nous languir de quelque chose de plus grand que nous, cette poussière d'étoile que nous avons été un jour. (p. 158)
Comme je te l'ai déjà dit, nous nous demandons sans cesse si ce que nous faisons a un sens et c'est, dans une large mesure, la raison de notre fragilité.
De plus , écrire une fiction c'est mettre en lumière des pans entiers de notre inconscient. Les romans sont les rêves de l'Humanité, des rêves diurnes que le romancier fait les yeux ouverts. (p. 93)
Le métier d'écrivain est très paradoxal : on écrit d'abord pour soi-même pour le lecteur qu'on porte en soi ou encore parce qu'on ne peut pas faire autrement, parce que la vie nous est insupportable sans l'aide de l'imagination. (p. 65)
J'ai souvent ronchonné en essayant désespérément de récupérer ces mots exacts qui avaient illuminé un instant l'intérieur de mon crâne avant de disparaître à jamais dans l'obscurité. Les mots sont pareils à ces poissons des grandes profondeurs, un simple scintillement d'écailles au milieu des eaux noires. (...) Les mots sont rusés, rebelles et fuyants. Ils n'aiment pas être domestiqués. Dompter un mot (en faire un cliché) c'est le tuer. (p. 19)
Parfois, une même personne peut avoir des comportements différents : se montrer héroïque face à certaines menaces et lamentables en d’autres circonstances. Le très célèbre manifeste de Zola en faveur de Dreyfus est toujours cité comme exemple de l’engagement moral et politique de l’écrivain et Zola a dû sans aucun doute faire preuve de courage pour écrire son « J’accuse » plein de fureur, pratiquement seul face à tous les bien-pensants. Mais on oublie que ce même Zola avait refusé trois ans plus tôt de signer le manifeste à Oscar Wilde, condamné à deux ans d’emprisonnement dans les terribles geôles victoriennes pour homosexualité.
Les romanciers, scribes incontinents, décrochent inlassablement des mots contre la mort, comme des archers postés sur les créneaux d’un château fort en ruine. Mais le temps est un dragon à la peau dure qui dévore tout. Nul ne se souviendra de la plupart d’entre nous dans un siècle ou deux : ce sera exactement comme si nous n’avions pas existé. L’oubli total de nos prédécesseur est une chape de plomb, la défaite qui préside à notre naissance et vers laquelle nous nous dirigeons. Notre pêché originel.
Les mots sont pareils à ces poissons des grandes profondeurs, un simple scintillement d’écailles au milieu des eaux noires. S’ils se décrochent de l’hameçon, on a peu de chance de les repêcher. Les mots sont rusés, rebelles et fuyants. Ils n’aiment pas être domestiqués. Dompter un mot (en faire un cliché) c’est le tuer.
Je pourrais dire aussi que j’écris pour supporter l’angoisse de la nuit. Dans l’agitation fébrile de l’insomnie, pendant qu’on se tourne et se retourne dans son lit, on a besoin de penser à quelque chose pour ne pas voir les menaces envahir les ténèbres.