Citations sur La folle du logis (50)
Je déteste la littérature utilitaire et militante, les romans féministes, écologistes, pacifistes et autres genres en iste; écrire pour faire passer un message trahit la fonction primordiale du roman, sa raison fondamentale, celle de la recherche du sens. On écrit pour apprendre, pour savoir, et on ne peut entreprendre ce voyage vers la connaissance si on emporte avec soi les réponses préalables.
En fait, les écrivains écrivent peut-être pour cautériser à l'aide de mots les silences inconcevables et insupportables de l'enfance. (p. 88)
Une idée écrite est une idée blessée, réduite en esclavage par une certaine forme matérielle; le phénomène est en quelque sorte irréversible. (p. 46)
(L'utilitarisme pamphlétaire constitue la plus grande trahison du métier; la littérature est un chemin de connaissance et on doit le suivre chargé de questions et non de réponses); il consiste plutôt à rester vigilant face aux lieux communs, à ses propres préjugés, à toutes les idées reçues et non soumises à examen qu'on nous glisse insidieusement dans la tête , idées pernicieuses, vénéneuses comme le cyanure, inertes comme le plomb, qui nous conduisent à la paresse intellectuelle. Pour moi, écrire est une manière de penser et cette pensée doit être la plus propre, la plus libre et la plus rigoureuse possible. (p. 51)
Tous les écrivains nourrissent l'ambition de fixer le temps, de le retenir ne fût-ce qu'un instant grâce à un petit barrage de castor construit avec des mots. (p. 174)
Je continue pourtant de penser que l'écriture nous sauve la vie. Quand tout le reste échoue, quand la réalité se décompose, quand notre existence part à vau_l'eau, nous pouvons toujours avoir recours au monde narratif. (p. 146)
La rivalité entre frères [...] n'existe pas seulement en littérature, la relation fraternelle est, je crois, le premier endroit où se mesurer: pour être moi, je dois d'une certaine manière l'être contre mes frères; ils sont mes autres moi possibles, des miroirs angoissants dans lesquels je me contemple. Je me dis au passage que cette sorte d'émiettement de la personnalité, ce manque de structuration du moi dont semblent souffrir actuellement certains adolescents est peut-être dû, entre autres, au fait qu'aujourd'hui beaucoup sont des enfants uniques et donc privés du reflet de cet autre moi possible, assez différent cependant pour lui permettre d'exister.
La vanité d'un écrivain est un vertigineux abîme d'insécurité, y sombrer revient à descendre inexorablement jusqu'au centre de la terre. Si vous tombez dans ce puits, deux millions de lecteurs peuvent bien affirmer que votre roman les a enchantés, il suffit qu'un imbécile de journaliste écrive dans un bulletin paroissial de Trifouilly-les-Oies que votre livre est horrible pour sentir aussitôt l'angoisse s'emparer de vous.
Voilà ce qu'est l'écriture: un effort pour transcender l'individualité et la misère humaine, un désir de s'unir aux autres pour former un tout, une volonté de conjurer l'obscurité, la douleur, le chaos et la mort. (p. 118)
On ne peut pas être à la fois pur et humain. Nous nous débrouillons donc avec notre rapport mouvant et glissant avec le pouvoir. Nous cherchons notre équilibre comme des patineurs sur un lac gelé parsemé de plaques de glace très fine. Certains patinent fort bien et s'arrangent pour ne pas tomber, d'autres sont presque toujours dans l'eau. Pour parler clairement et sans métaphore : certains font preuve d'une plus grande dignité et d'autres d'une incomparable indignité. (p. 50)