Un jocker pour rester au lit
Un jocker pour ne pas aller à l'école
Un jocker pour allonger ses vacances
Un jocker pour prendre son temps
Un jocker pour faire un câlin à qui on veut
Etc !
"Qui pensez-vous que j'admire le plus : celui qui s'est servi de ses jockers ou celui qui les a gardé dans son cartable ?"
Bérangère, fière de son stock constitué grâce au juteux trafic de jockers, leva la main.
"Celui qui ne les a pas dépensés, monsieur.
-Tu n'y es pas du tout ! Si je vous ai donné ces jockers, c'était pour en profiter ! Maintenant c'est trop tard !"
Le trafic de jokers s'était calmé et, au goût d'Hubert Noël, les jokers dormaient trop tranquillement dans les cartables. Les élèves n'avaient pas besoin du joker POUR NE PAS ECOUTER LA LEÇON car les leçons étaient trop intéressantes. Ils n'avaient pas besoin du joker POUR NE PAS VENIR A L'ECOLE, ils avaient trop envie de venir à l'école. M. Noël leur rappela : "N'oubliez pas qu'on a des jokers dans la vie. Tout joker que vous n'aurez pas utilisé mourra avec vous."
En fait ils étaient contents de revenir à l’école. L’été avait commencé à se faner et l’ennui s’était introduit dans leurs longues journées chaudes. Secrètement, ils attendaient cette rentrée. Alors, même s’ils grognaient et se plaignaient, après tout, ils étaient contents. Et même s’ils avaient un petit peu peur du nouveau maître, il était grand temps de démarrer cette dernière année d’école primaire
La directrice, Mme Incarnation Perez, n'était aimée de personne, sauf de son mari qui ne s'en était pas si mal sorti en mourant.
Les élèves se regardaient avec effroi. Ils étaient franchement, carrément et totalement déçus. Ils espéraient un jeune maître beau et sportif et on leur avait donné un gros monsieur qui ressemblait à Dieu avec des cheveux blancs qui partaient dans tous les sens, des petites lunettes posées sur le bout du nez, et un ventre qui risquait fort d’être le seul ballon qu’ils verraient de l’année.
Le maître prit le joker, écarta les tables et dit : " Je vais vous apprendre à dansée le rock'n'roll." Il brancha le lecteur de CD au niveau sonore le plus fort et, tout seul au centre de la salle de classe, il se mit à tourner comme un derviche.
« Tout de suite, je vous offre un autre cadeau. » Il distribua encore un paquet-cadeau.
Les élèves purent constater qu’ils avaient tous le même livre : David Copperfield de Charles Dickens. C’était un gros livre écrit serré, sans illustrations, peu appétissant, même dégoutant.
« Mais c’est pas un cadeau, monsieur, c’est écrit : « Propriété de l’école Paul-Éluard ».
- Même si ce livre ne vous appartient pas légalement, le livre est à vous à partir du moment où vous le lisez. Je vous fais cadeau de l’histoire, des personnages, des mots, des phrases, des idées, des émotions. Une fois lu, tout ça sera à vous, pour toute la vie. »
« Je m’appelle Hubert Noël. Depuis que je suis tout petit (et autrefois j’ai été petit), on m’appelle le père Noël. C’est pour ça que je suis devenu instituteur : j’adore faire des cadeaux. J’ai l’intention de vous faire des cadeaux tous les jours. Cadeau de tout le programme, cadeau des livres, cadeau des techniques, cadeau des conjugaisons, cadeau des mathématiques, cadeau de la science, cadeau de tout ce que la vie m’a donné, y compris les cataclysmes !
- Qu’est-ce que ça veut dire « cataclysme », monsieur ? demanda Constance.
- Bon, dit-il en prenant le dictionnaire. Voici encore un cadeau magique.
Dans ce livre il y a la clef de tous les mots. » Il passa le dictionnaire ouvert à C à Constance. Elle comprit qu’il voulait qu’elle lise :
« Cataclysme : grand bouleversement, destruction causée par un tremblement de terre, un raz-de-marée, une tornade. »
Il n’y eut que Charles qui fut assez près du maître pour l’entendre chuchoter d’une voix triste : « Ou la mort d’un être proche et aimé. »
Ni "bonjour", ni "je m'appelle", ni "asseyez-vous". Simplement : "J'ai un cadeau pour vous."