L'apprentissage de l'auto-observation fait partie de l'apprentissage de la lucidité. L'aptitude réflexive de l'esprit humain, qui le rend capable en se dédoublant de se considérer lui-même, cette aptitude que certains auteurs comme Montaigne ou Maine de Biran ont admirablement exercée, devrait être chez tous encouragée et stimulée. Il faudrait enseigner de façon continue comment chacun produit le mensonge à lui-même ou self-deception. Il s'agirait d'exemplifier sans cesse comment l'égocentrisme auto-justificateur et la bouc-émissarisation d'autrui conduisent à cette illusion, et comment y concourent les sélections de la mémoire qui éliminent ce qui nous gêne et enjolivent ce qui nous avantage (ce pourrait être par l'incitation à tenir un journal quotidien et à y réfléchir sur les événements vécus.)
Répétons ici la différence entre expliquer et comprendre. Expliquer c'est considérer l'objet de connaissance seulement comme un objet et lui appliquer tous les moyens objectifs d'élucidation. Il y a ainsi une connaissance explicative qui est objective, c'est-à-dire qui considère des objets dont il faut déterminer les formes, les qualités, les quantités et dont le comportement se connaît par causalité mécanique et déterministe. L'explication est bien entendu nécessaire à la compréhension intellectuelle ou objective. Elle est insuffisante pour la compréhension humaine.
Il y a connaissance qui est compréhensive, et qui se fonde sur la communication, l'empathie, voire la sympathie inter-subjectives.
Ainsi je comprends les larmes, le sourire, le rire, la peur, la colère en voyant l'ego alter comme alter ego, par ma capacité de ressentir les mêmes sentiments que lui. Comprendre dès lors comporte un processus d'identification et de projection de sujet à sujet. [...] La compréhension, toujours intersubjective, nécessite ouverture et générosité.
Le développement de l'intelligence générale requiert de lier son exercice au doute, levain de toute activité critique, qui, comme l'indique Juan de Mairena, permet de « repenser le pensé » mais aussi comporte « le doute de son propre doute ». Il doit faire appel à l'ars cogitandi, lequel inclut le bon usage de la logique, de la déduction, de l'induction - l'art de l'argumentation et de la discussion. Il comporte aussi cette intelligence que les Grecs nommaient métis, « ensemble d'attitudes mentales... qui combinent le flair, la sagacité, la prévision, la souplesse d'esprit, la débrouillardise, l'attention vigilante, le sens de l'opportunité ». Enfin, il faudrait partir de Voltaire et de Conan Doyle, plus plus tard examiner l'art du paléontologue ou du préhistorien pour initier à la sérendipidité, art de transformer des détails apparemment insignifiants en indices permettant de reconstituer toute une histoire.
L'Université doit-elle s'adapter à la société ou la société doit-elle s'adapter à l'Université ? Il y a complémentarité et antagonisme entre les deux missions, s'adapter à la société et adapter soi à la société : l'une renvoie à l'autre en une boucle qui devrait être productrice. Il ne s'agit pas seulement de moderniser la culture : il s'agit aussi de culturiser la modernité.
La science économique est de plus incapable d'envisager ce qui n'est pas quantifiable, c'est-à-dire les passions et les besoins humains. Ainsi l'économie est à la fois la science la plus avancée mathématiquement et la plus arriérée humainement. Hayek l'avait dit :«Personne ne peut être un grand économiste qui soit seulement un économiste.» Il ajoutait même qu'« un économiste qui n'est qu'économiste devient nuisible et peut constituer un véritable danger ».
Lors de l'édition 2001 des Rendez-vous de l'histoire sur le thème "L'homme et l'environnement", le sociologue et philosophe Edgar Morin dressait un panorama historique de l'apparition de cet "agrégat de détritus cosmiques" qu'est la planète Terre, avant d'examiner son peuplement progressif par l'humanité, "partie intégrante et désintégrante de la biosphère".
Conférence inaugurale de l'édition 2001 des Rendez-vous de l'histoire sur le thème "L'homme et l'environnement, quelle histoire ?".
0:00 Générique
0:33 Conférence
Retrouvez l'épisode sur toutes les plateformes de podcast : https://urlz.fr/qoPB
© Edgar Morin, 2001.
Voix du générique : Michel Hagnerelle (2006), Michaelle Jean (2016), Michelle Perrot (2002)
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