Ce tome comprend les 4 épisodes de la minisérie (2000/2001) du même nom, écrite par
Grant Morrison et illustrée par Jae Lee.
Ben Grimm vient d'enrouler un lampadaire autour de 3 supercriminels ayant détruit une partie d'un quartier de New York. Les criminels ne parlent que de le traîner devant les tribunaux pour maltraitance, la police prend les choses en main en lui demandant de faire moins de dégâts la prochaine fois, les pompiers lui demandent de leur laisser la place pour que de vrais professionnels puissent faire leur travail. Ben Grimm a le moral dans les chaussettes, il rentre au Baxter Building où Johnny Storm est très irritable et se montre vachard vis-à-vis de lui. Reed Richards est enfermé dans son laboratoire pour une expérience ultra-urgente dont rien ni personne ne peut l'extraire. Sue Richards se sent une fois encore abandonnée par son mari, et responsable de Ben et Johnny. Elle part chercher consolation auprès d'Alicia Masters. Alors qu'il reste seul au Baxter Building, Ben est pris à parti par Victor von Doom qui lui parle par l'intermédiaire des restes d'une de ses armures. Il parvient à téléporter Ben en Latvérie et lui révèle un secret liant Reed à Doom.
Lecteurs dépressifs, fuyez de suite !
Grant Morrison propose un point de départ iconoclaste : il n'y a plus vraiment de raison d'existence des Fantastic Four. Ben Grimm se fait jeter par ceux qu'il vient de sauver, Johnny Storm l'envoie bouler, et Victor von Doom révèle un secret tellement énorme que Ben Grimm n'a plus de raison de continuer. Sue Storm (dont les enfants sont absents du récit) perd sa fonction d'épouse, retombe sous le charme vénéneux de Namor : elle foule au pied tous ses principes et toutes ses valeurs. Enfin Reed semble se couper une fois encore du monde des gens normaux, isolé par son propre génie, victime de son intelligence exceptionnelle.
Lecteurs dépressifs, fuyez de suite ! Jae Lee propose une vision cauchemardesque de ces crises existentielles. Il utilise un style assez froid, avec des grosses masses d'encrage qui semblent vouloir engloutir les personnages. L'ambiance est clinique et cafardeuse. Les rares humains normaux sont désagréables et inamicaux. Les décors sont inhospitaliers. Sue Richards se sent tellement mal dans sa peau qu'elle reste invisible lors de son repas en tête à tête avec Alicia Masters (qui est pourtant aveugle). le malaise est encore accentué par les couleurs maîtrisées et déprimantes de
José Villarrubia.
Heureusement Morrison et Lee ne font pas que se complaire dans cette vision désespérante et saisissante de ces superhéros déchus, privés de leur raison d'être, trahissant leurs idéaux. Il y a également ce mystère que le lecteur cherche à percer. S'agit-il vraiment de Victor von Doom ? Quel rôle joue vraiment Namor ? Quel est le sens des propos d'Alicia Masters concernant les objets technologiques futuristes créés par Reed Richards ? Morrison prend bien soin de donner toutes les réponses et de boucler proprement son récit avec une connaissance épatante de l'univers partagé Marvel des années 1970.
Jae Lee se révèle un créateur d'images frappantes. Sa propension à délaisser les décors est parfaitement compensée par le travail artistique de Villarrubia qui développe un vocabulaire graphique à base de couleurs. Jae Lee évoque avec une nostalgie savante le quartier de Yancy Street, il imagine des visuels expressifs pour Reed Richards en train de penser, de réfléchir (action pourtant peu visuelle à la base). Et son Namor dégage une aura royale, teintée de suffisance et de supériorité légitime. Jae Lee pose un vrai regard d'artiste sur les personnages pour une mise en images en osmose avec le scénario. Il rend palpable la tension sentimentale et sexuelle entre Sue Richards et Namor comme personne d'autre avant lui, sans se reposer sur des artifices vulgaires.
Grant Morrison, Jae Lee et
José Villarrubia plongent Ben, Sue, Johnny et Reed dans une situation déprimante liée à leur personnalité, face à un adversaire difficile à identifier pour une crise existentielle intemporelle. Certaines images et situations s'impriment dans la mémoire par leur étrangeté et leur douce cruauté mentale. Il s'agit d'une expérience de lecture différente pleine de personnalité, au message étrange.