J'étais très grossier et agressif. On ne me reconnaissait plus. Je disais des gros mots qui effrayaient tout le monde. Le petit enfant calme et poli que j'étais avait disparu dans le camp, par la force des choses, pour être remplacé par ce nouveau petit garçon qui n'en était plus vraiment un.
Nous étions dans un grand dortoir où il y avait beaucoup d’enfants. On dormait dans un vrai lit dont le confort, au début, nous empêchait de trouver le sommeil. Nos lits étaient côte à côte. Le miens était près de la porte d’où, la nuit, filtrait une lumière rassurante qui nous permettrait de nous voir et m’assurait, dans la pénombre de la réalité de notre situation. J’étais très content d’avoir cette place. Il y avait toujours des enfants qui s’agitaient et criaient. Ma sœur était encore de ceux-là, et l’espace si réduit qui nous séparait me donnait la possibilité de la faire sortir doucement de ses cauchemars.
Tous les soirs, il y avait des voitures grises de la police qui passaient dans la rue, comme des animaux carnassiers et sournois, à la recherche de leur proie. On les regardait, cachés derrière les rideaux. On avait toujours peur qu'elles ne s'arrêtent.
Son étonnement fu grand de constater que le camp était sous la garde de Français, et non d'Allemands comme elle s'y attendait. Elle vint trois fois au cours de notre internement, et eut la possibilité de nous voir une fois, vision pénible dont sa mémoire et celle de sa fille, à peine plus âgée que moi, et qui l'accompagnait, ont gardé le souvenir de la tristesse de nos regards et de notre état de dénutrition et de misère. (p.83)
Les mois passaient avec toujours l'espoir que la guerre finisse, et que nous nous retrouvions tous ensemble comme avant.
Les jours passaient... et la vie chaque jour devenait de plus en plus incertaine.
Ma mère monta les escaliers. Elle m’expliqua que mon père et mes oncles étaient partis, que l’on était venu les chercher pour aller travailler quelque part. Je lui demandai s’ils avaient pris une valise et si elle leur avait donné de bons vêtements.
Il en était ainsi en permanence. Nous vivions dans une sécurité instable, où le moindre événement imprévu pouvait faire basculer notre existence, et donner lieu aux interprétations les plus alarmantes. (p.118)
Le passé et le présent se mêlaient étrangement.
L'accueil du village, en dehors des quelques amis de toujours, fut indifférent, comme indifférentes avaient été les réactions lors de notre arrestation.