Elle fut stupéfaite de la rapidité à laquelle on pouvait se sentir jugée ; une demi-seconde de silence suffisait.
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Consciente du triste état de la cuisine et de son allure dépenaillée, Isabel fut prise d'une gêne qu'elle ressentait désormais quand elle se trouvait en présence d'hommes. Comme si Laurent avait emporté avec lui une couche de sa peau.
- Ça va s'arranger, lui dit-elle. Parfois, la vie est vraiment pourrie, et au moment où tu crois que c'est fichu pour toujours, ça s'améliore.
– Je n’ai pas de bonnes nouvelles à vous annoncer.
Isabel eut presque envie de rire. Mon mari est mort, pensa-t-elle. Mon fils est encore sous le choc et s’enferme dans le mutisme. Ma fille a vieilli de vingt ans en neuf mois et refuse d’admettre que les choses vont mal. J’ai dû renoncer à la seule chose que j’aime faire, à la seule chose à laquelle je m’étais juré de ne jamais renoncer, et vous croyez pouvoir m’annoncer de mauvaises nouvelles ?
Tant que l'un de vos enfants n'est pas heureux, vous ne pourrez pas l'être
Elle voyait, sinon du bonheur, du moins une nouvelle chance de l'atteindre.
Je voudrais être avec toi même si tu ne devais plus rien posséder pour le reste de tes jours.
Il prouverait à tout le monde que le plus important n'était pas d'où l'on venait mais ce qu'on pouvait accomplir.
Nous n’avons jamais trouvé notre place dans la maison espagnole.
Techniquement, nous en étions les propriétaires, mais la propriété suppose un certain contrôle, et personne autour de nous n’aurait pu prétendre que nous en avons eu le moindre sur les événements dont elle a été le théâtre. Les documents écrits avaient beau attester le contraire, nous n’avons jamais eu le sentiment d’être réellement chez nous. Dès le début, ce lieu nous a paru bien trop encombré. Cette maison était habitée par les rêves d’autres que nous, les murs imprégnés de jalousie, de méfiance, de convoitise. Son histoire n’était pas la nôtre. Rien, pas même nos propres aspirations, ne nous liait à cette demeure.
Petite, je pensais qu’une maison n’était qu’une maison, et rien de plus.
Un endroit dans lequel on mangeait et jouait, dans lequel on discutait et
dormait, quatre murs entre lesquels on se contentait de poursuivre le cours de son existence. J’y accordais peu d’importance. Bien plus tard, j’ai appris
qu’une propriété pouvait représenter bien plus que cela, et devenir, aux yeux de celui qui la convoitait, le but ultime, une projection de lui-même ou de l’image qu’il cherchait à renvoyer. J’ai appris qu’elle pouvait inspirer aux
gens des comportements honteux ou déshonorants, que même un minuscule lopin de terre pouvait se transformer en obsession.
Lorsque je quitterai la maison, je serai locataire.
Un autre homme vient de me dire qu’il m’aimait. Un homme qui a passé plusieurs heures la semaine dernière dans une chambre d’hôtel de Londres à vénérer mon corps nu. Un homme qui affirme que son idée du paradis est de se réveiller chaque matin à mes côtés jusqu’à la fin de ses jours. Un homme qui dit que je suis tout pour lui. Tout.