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Citations sur La bascule du souffle (61)

«  Nous étions loin de nous douter qu’une faim épouvantable allait bientôt nous tomber dessus.
Comment errer de par le monde quand on n’a plus rien à dire de soi , sinon qu’on a faim. ?
On n’a plus que ça en tête Quand le palais ne supporte plus la faim, il tiraille comme la peau d’un lièvre fraîchement dépouillé qui serait tendue derrière le visage pour y sécher. Les joues racornies se couvrent d’un pâle duvet.
Quand la chair a disparu , porter ses os devient un fardeau qui vous enfonce dans le sol.... »
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«  Tout ce que j’ai , je le porte sur moi . »
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Sur la route défoncée, le Lancia brinquebalait avec un bruit de ferraille en longeant des fermes éparses. Presque toutes étaient pleines d’orties montant jusqu’à la taille, et au milieu, sur des cadres de lits en fer, des poules blanches étaient posées, aussi maigres que des nuages déchiquetés. Comme disait ma grand-mère, les orties ne poussent que là où vivent les gens, et la bardane, seulement près des moutons.
Dans ces fermes, je ne voyais jamais personne. Je voulais voir des gens qui ne vivaient pas au camp, qui avaient une maison à eux, un enclos, une cour, une pièce avec un tapis, peut-être mettre même une tapette pour le battre. Là où on bat des tapis, me disais-je, on peut croire à la paix, la vie est celle des civils, et on leur fiche la paix à tous les sens du terme.
Lors du tout premier trajet avec Kobelian, j’avais vu une barre à battre les tapis, dans une cour. Elle avait un rouleau pour déplacer les tapis, et elle était posée à côté d’un grand broc émaillé qui avait tout d’un cygne avec son bec, son cou gracile et son ventre lourd. C’était si beau qu’à chaque trajet, même dans l’inanité du vent, au beau milieu de la steppe, je cherchais une barre à tapis. Je n’en ai plus jamais revu, ni de cygne.
Derrière les fermes des faubourgs commençait une petite ville aux maisons jaune ocre dont les ornements de stuc qui étaient effrités et les toitures en tôle toutes rouillées. Des rails de tramway se cachaient entre les restes d’asphalte. Sur les rails passaient de temps à autre des chevaux et des chariots à deux roues venant de la boulangerie industrielle. Tous étaient recouverts d’une toile blanche, comme la charrette à bras qui passait au camp. Là, au vu des chevaux décharnés, je me disais qu’en fait de pain il y avait peut-être sous le tissu des gens morts de faim.
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Pelleter, c’est dur. Être obligé de pelleter et de ne pas en être capable, c’est une chose. Avoir envie de pelleter et de ne pas en être capable est doublement désespérant ; la courbature est alors la courbette qu’on fait devant le charbon. Je n’ai pas peur de pelleter, j’ai peur de moi. Peur, en pelletant, de penser à autre chose. Ça m’est arrivé, les premiers temps, et ça mine les forces dont on a besoin pour pelleter. Dès que je ne suis pas à mon affaire, la pelle en cœur s’en aperçoit. Une panique gracile me serre la gorge. Dans mes tempes bat une cadence à deux temps, dépouillée. Elle se précipite sur mon cou comme une meute de klaxons. Je suis à deux doigts de m’effondrer, ma luette enfle dans mon palais sucré. L’ange de la faim se suspend tout entier dans ma bouche, au voile du palais. C’est sa balance. Il prend mes yeux pour voir, et la pelle en cœur a le tournis, le charbon devient flou. L’ange de la faim me presse les joues contre son menton. Il bouscule mon souffle. La bascule du souffle est un délire, et quel délire. Je lève les yeux : là-haut, ouate silencieuse de l’été, broderie des nuages. Épinglé au ciel, mon cerveau frémit, n’ayant plus que ce point fixe. Celui des divagations sur la nourriture. Je vois déjà en l’air des tables aux nappes blanches, et la pierraille crisse sous mes pieds. Le soleil clair me perce l’ épiphyse. L’ange de la faim regarde sa balance et dit :
– Tu n’es pas encore assez léger, pourquoi ne pas lâcher prise…
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Des pelles, il y en a beaucoup, mais ma préférée, la seule que j’ai baptisée, c’est la pelle en cœur. Elle ne sert qu’à charger ou décharger du charbon en miettes.
La pelle en cœur a une plaque grande comme deux têtes juxtaposées. Elle est en forme de cœur et bien concave : elle pourrait contenir près de cinq kilos de charbon ou tout le postérieur de l’ange de la faim. La tôle a un long cou fermé par une soudure. Par rapport à cette grande plaque, le manche est court et se terminant en T.
D’une main, on lui attrape le cou, et de l’autre, on saisit la poignée située en haut du manche, disons plutôt en bas. Car pour moi, la pelle en cœur se trouve vers le haut, et le manche est secondaire, donc sur le côté ou en bas. J’attrape la tôle par le haut du cou, et la poignée par-dessous. Je maintiens l’équilibre, et la pelle en cœur, bousculée dans ma main, se met à basculer comme le souffle dans mon sein.
Une pelle en cœur, ça se rode ; ensuite sa plaque de tôle est bien luisante, avec une soudure semblable à une cicatrice dans la paume – et la pelle entière est une sorte de second équilibre, mais extérieur.
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Voilà soixante ans que j’essaie, la nuit, de me rappeler les objets du camp. Ce sont les affaires de mon bagage de nuit. Depuis mon retour du camp, la nuit d’insomnie est une valise en peau noire que j’ai dans le front. Mais depuis soixante ans, je ne sais toujours pas si j’ai des insomnies parce que j’essaie de me rappeler des objets ou si, à l’inverse, je me bagarre avec eux, ne pouvant fermer l’œil. Quoi qu’il en soit, la nuit prépare sa valise noire, et c’est contre mon gré, j’insiste sur ce point. Me souvenir, je ne peux pas m’en empêcher, que je le veuille ou non. Et si c’était volontaire et non obligatoire, je préférerais ne pas être obligé de le vouloir.
Parfois, je suis assailli par des hordes d’objets du camp, ils n’arrivent plus à un par un. Par conséquent, si ces objets viennent me hanter, ce n’est pas du tout pour s’en prendre à ma mémoire – ou ce n’est pas seulement dans ce but – , c’est à seule fin de me tracasser. Il suffit que je pense aux affaires de couture emportées dans mon nécessaire de toilette pour qu’intervienne un mouchoir dont je ne sais plus à quoi il ressemblait. Viens s’y ajouter une brosse à ongles dont je ne sais même pas si je l’ai eue. Et un miroir de poche qui existé ou non. Et une montre dont j’ignore où elle est passée, à supposer que je l’ai emportée. Des objets qui n’avaient sans doute rien à voir avec moi viennent me chercher. Ce qu’ils veulent, c’est me ramener chez moi au camp. Quand ils arrivent en masse, ils ne se contentent pas d’être dans ma tête. J’ai des lourdeurs d’estomac qui me remontent jusqu’au palais. La bascule du souffle est chamboulée, je suis hors d’haleine. Cette espèce de brosse-peigne-aiguille-ciseaux-miroir-à-dents est un monstre, de même que la faim en est un. Et ces objets ne reviendraient pas à me hanter sans l’autre objet qu’est la faim.
La nuit, quand ils viennent me hanter en m’asphyxiant, j’ouvre la fenêtre en grand, et je reste la tête à l’air libre. Dans le ciel, une lune semblable à un verre de lait froid me rince les yeux. Ma respiration retrouve sa cadence. J’avale de l’air frais pour ne plus être au camp, puis je ferme la fenêtre et me recouche. La literie n’est au courant de rien, elle me réchauffe. L’air de la pièce me regarde, il sent la farine chaude.
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je ne sais toujours pas si j’ai des insomnies parce que j’essaye de me rappeler des objets ou si, à l’inverse, je me bagarre avec eux, ne pouvant fermer l’oeil de la nuit
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La faim est un objet.

L’ange est monté au cerveau.

L’ange de la faim ne pense pas. Il pense juste.

Il ne fait jamais défaut. Il connaît mes limites et sait sa direction.

Il sait mon origine et connaît son action.

Il savait déjà tout avant de me rencontrer, et il connaît mon avenir.
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Tous les matins, l’ange de la mort nous dis : pense à ce soir
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Au garde-à-vous pendant le rassemblement, je m'entraînais à oublier ma propre personne, sans dissocier l'inspiration de l'expiration. A lever les yeux sans redresser la tête, et à chercher dans le ciel un coin de nuage où accrocher ma carcasse. Ce crochet céleste, que je trouvais en faisant abstraction de moi, me maintenait d'aplomb.
Souvent, il n'y avait pas de nuage, mais un bleu uniforme comme au large.
Souvent, il n'y avait qu'une épaisse couche de nuages, d'un gris uni.
Souvent, les nuages couraient, et aucun crochet ne s'arrêtait.
Souvent, la pluie brûlait les yeux, les vêtements collaient à la peau.
Souvent, le gel me rongeait les tripes.
Ces jours-là, le ciel révulsait mes prunelles et l'appel les faisait redescendre : mes os restaient en suspens à l'intérieur de moi, sans être maintenus.
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