Ainsi va le monde : comme on n'y était pour rien, personne n'y pouvait rien.
Mon trésor le plus lourd est ma force de travail. Cette inversion du travail forcé est un échange salvateur. J'ai en moi un forcené de la grâce qui est un parent de l'ange de la faim. Il sait le moyen de dresser tous les autres trésors. Il me monte au cerveau, me pousse à être envoûté par la contrainte, car j'ai peur d'être libre.
Mon crâne est un terrain, celui d'un camp, je ne peux pas en parler autrement.
« Nous étions loin de nous douter qu’une faim épouvantable allait bientôt nous tomber dessus.
Comment errer de par le monde quand on n’a plus rien à dire de soi , sinon qu’on a faim. ?
On n’a plus que ça en tête Quand le palais ne supporte plus la faim, il tiraille comme la peau d’un lièvre fraîchement dépouillé qui serait tendue derrière le visage pour y sécher. Les joues racornies se couvrent d’un pâle duvet.
Quand la chair a disparu , porter ses os devient un fardeau qui vous enfonce dans le sol.... »
Rien de tout ça ne me concernait. J'étais enfermé en moi et j'en était expulsé, je ne leur appartenais pas et je me manquais à moi-même.
Pour pouvoir raconter quelque chose, il faut d'abord s'en dessaisir.
Depuis longtemps, j'ai appris à mon mal du pays à garder les yeux secs. Et maintenant, je voudrais par-dessus le marché qu'il n'ait pas de maître. Pour qu'il ne voie plus mon état, ne me demande plus de nouvelles de ceux qui sont à la maison. Pour qu'il n'y ait plus de gens, dans ma tête, mais rien que des objets. Que je pourrais déplacer ça et là sur le point sensible, comme on bouge les pieds en dansant La Paloma. Les objets sont petits ou grands, parfois bien trop lourds, mais ils ont une mesure.
Des objets qui n'avaient sans doute rien à voir avec moi viennent me chercher. Ce qu'ils veulent, c'est me ramener chez moi au camp. Quand ils arrivent en masse, ils ne se contentent pas d'être dans ma ma tête. J'ai des lourdeurs d'estomac qui me remontent jusqu'au palais. La bascule du souffle est chamboulée, je suis hors d'haleine. Cette espèce de brosse-peigne-ciseaux-miroir-à-dents est un monstre, de même que la faim en est un. Et ces objets ne reviendraient pas me hanter sans l'autre objet qu'est la faim.
Tout ce que j'ai, je le porte en moi.
Ou plutôt, tout ce qui m'appartient, je l'emporte avec moi.
Les sous-vêtements étaient en toile écrue: un caleçon long qui s'attachait aux chevilles et sur le ventre, un caleçon court et une sous-chemise fermés par un lien, et l'ensemble formait un maillot-de-corps-chemise-de-jour-et-de-nuit-d'hiver-et-d'été.