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Citations sur L'éléphant s'évapore (40)

Les souvenirs, ça ressemble aux romans, ou peut-être les romans ressemblent-ils aux souvenirs ?
Pour la première fois depuis que je me suis mis à écrire des romans, j'en ai véritablement conscience : les souvenirs ressemblent aux romans, ou peut-être, etc.
Vous faites des efforts pour ordonner tout ça joliment, et puis le fil de vos idées vous entraîne ici ou là, et finalement il n'y a plus de fil du tout. Exactement comme quatre chatons à peine nés roulés en boule les uns sur les autres. Tout tièdes de vie, mais instables sur leurs pattes. Je trouve vraiment honteux que ces petites créatures fassent l'objet d'un commerce (car elles font l'objet d'un commerce). Il y a vraiment de quoi rougir. Et si moi je rougis, vous pouvez être sûr que le monde entier a honte.
Pourtant, si on considère l'existence humaine comme une suite d'actes stupides fondés sur des mobiles relativement purs, différencier ce qui est juste de ce qui ne l'est pas n'est plus un problème. C'est là que naissent les souvenirs, et les romans aussi. C'est une espèce de machine dont personne ne peut arrêter le mouvement perpétuel, qui se balade à travers le monde en faisant grincer ses rouages, tirant un unique et interminable fil à travers le monde.
Si la machine fonctionne bien, pourquoi pas ? Mais il n'y a aucune raison que ça marche. Cela n'essaie même pas de marcher.
Alors, que faut-il faire, hein ?
Et bien, mettre à nouveau ces petits chatons les uns sur les autres. Ils sont tout fatigués et tout doux. Que pensent-ils ces petits chatons, quand ils ouvrent les yeux et se rendent compte qu'ils sont empilés comme des bûches préparées pour un feu de camp, hein ? Tiens, c'est bizarre, se diront-ils peut-être. Si seulement ils se disaient ça, au moins ça, je me sentirais sauvé.

Extrait de la nouvelle "La dernière pelouse de l'après-midi".
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Je me rappelle nettement la première nuit où je n'ai pas dormi. J'avais fait un cauchemar, un rêve sombre et glauque, dont j'ai oublié le contenu précis mais qui m'a laissé une impression sinistre. Je me suis réveillée brusquement, en sursaut, comme si quelque chose m'avait arrachée au sommeil à l'instant le plus dangereux, le plus effrayant du rêve, au point de non-retour. Je suis restée pantelante un bon moment après mon réveil. Je ne pouvais plus bouger, mes bras et mes jambes étaient comme paralysés. J'entendais ma respiration résonner désagréablement comme si j'étais allongée, seule, dans une grotte.
C'est un cauchemar, me suis-je dit. Et puis, j'ai attendu patiemment, allongée sur le dos, que ma respiration se calme. Mon coeur battait violemment, mes poumons se gonflaient et se vidaient comme un soufflet pour envoyer rapidement du sang vers mon coeur, marquant le passage du temps. Quelle heure peut-il bien être, me demandai-je soudain. Je voulus regarder le réveil à mon chevet, mais je ne pouvais pas tourner la tête. À ce moment là, il me sembla distinguer une ombre noire à mes pieds, vaguement visible dans la pénombre. Je retins mon souffle, sentant tout l'intérieur de mon corps, coeur et poumons compris, s'arrêter de fonctionner un instant. Je concentrai mon regard sur cette ombre.
Elle cessa soudain d'être vague, comme si elle n'attendait que mon regard pour se matérialiser, et prit des contours extraordinairement précis, une forme réelle se coula à l'intérieur, avec tous ses détails. Un vieillard maigre, vêtu de vêtements noirs ajustés, se tenait debout en silence au pied de mon lit.


Extrait de la nouvelle "Sommeil".
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J'ai poussé un léger soupir, un soupir d'intensité trente pour cent environ, ai replié le journal et me suis mis à ranger le linge dans le placard. Ensuite je me suis fait un café, toujours en écoutant de la musique inoffensive, et je me suis remis à rédiger mon journal en buvant mon café.
Jeudi, j'avais couché avec ma petite amie. Elle adorait faire l'amour avec un bandeau sur les yeux. C'est pourquoi elle se baladait toujours avec, dans son petit sac, un de ces bandeaux en tissu qu'on vous donne dans les avions long-courriers.
Moi, ce n'est pas vraiment mon truc, mais elle est si mignonne avec son bandeau sur les yeux que je ne fais aucune objection à sa petite manie. On est humains, on a tous nos petites bizarreries, n'est-ce pas ?
En gros, c'est ce que j'ai écrit à la page du jeudi. Ma politique en matière de journal intime, c'est quatre-vingts pour cent de fait, et vingt pour cent de remarques personnelles.
Vendredi, j'avais rencontré un vieil ami dans une librairie de Ginza. Il portait une cravate aux motifs vraiment bizarres : d'innombrables numéros de téléphone sur un fond de rayures...
J'en étais là quand le téléphone a sonné.

Extrait de la nouvelle "La chute de l'Empire romain, la révolte indienne de 1881, l'invasion de la Pologne par Hitler, et le monde des vents violents".
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- Trente Big Mac à emporter, dit ma femme.
- Je vous donne tout l'argent que j'ai si vous voulez, mais vous ne voudriez pas aller consommer ailleurs ? demanda le chef. Ça va terriblement embrouiller la comptabilité. Je veux dire...
- Il vaut mieux faire ce qu'elle dit, répétai-je.
Les trois employés se rendirent à la cuisine et se mirent au travail. L'étudiant faisait griller les hamburgers, le chef les insérait dans des petits pains, l'employée les rangeait dans un sachet blanc, et personne ne pipait mot. Je m'adossai contre un énorme réfrigérateur, le canon de mon pistolet dirigé vers la plaque du gril. Sur le gril grésillaient des rangées de steaks hachés rose pâle, ovales comme des gouttes d'eau, je sentais le doux fumet de la viande grillée monter par tous les pores de ma peau comme une nuée d'insectes microscopiques, se mêlant à la circulation de mon sang pour atteindre les moindres recoins de mon être. Ces particules achevaient leur course rassemblées au fond du gouffre affamé qui s'ouvrait au centre de mon corps et venait en tapisser les parois roses.
J'avais grande envie de m'emparer d'un ou deux des hamburgers enveloppés de sachets blancs dont la pile gonflait à vue d'œil à côté de moi, mais je décidai d'attendre que les trente fussent prêts, n'étant pas très sûr qu'un tel acte n'aille pas à l'encontre de notre objectif. Il faisait une chaleur étouffante dans la cuisine, et je commençais à transpirer sous ma cagoule de ski.

Extrait de la nouvelle "La seconde attaque de boulangerie".
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On se souvient toujours des choses qu'on voudrait justement oublier.
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La forme des jambes, du ventre, les cheveux clairsemés. Et pendant qu'il essayait ce pantalon d'un air tout heureux, il riait et son ventre tremblotait. En regardant cet homme, ma mère a senti se cristalliser des pensées qui existaient à l'état latent en elle. Elle s'est rendue compte pour la première fois à quel point elle haïssait mon père.
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Dans la boîte à gants, il y avait aussi deux cagoules de ski noires. Je n'avais pas la moindre idée de la raison pour laquelle ma femme avait un pistolet en sa possession, je ne savais pas davantage pourquoi elle avait des cagoules de ski. Ni elle ni moi ne pratiquions ce sport. Mais elle ne me donna pas la moindre explication et, de mon côté, je ne lui posai pas de questions. Je me fis simplement la réflexion que la vie conjugale était un phénomène bien étrange.
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je preferais la compagnie des livres à celle de mes camarades...
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Le sommeil est un régulateur thérapeutique. Au cours du sommeil, les muscles utilisés dans la journée se délassent naturellement, les circuits de pensées survoltés s'apaisent, la décharge énergétique est facilitée. Ainsi les gens se refroidissent - cool down - comme un moteur, et cela est programmé dans tout organisme humain, personne ne peut y échapper. Si jamais on s'écartait de ce schéma, disait l'auteur, les fondements mêmes de l'existence seraient menacés.
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Par devoir, je faisais l’amour avec mon mari. Quand on est habitué, ce n’est pas bien compliqué. C’est même plutôt simple. Il suffit de couper toute connexion entre mental et physique. Pendant que mon corps s’agitait de son côté, mon esprit flottait dans un espace réservé à lui seul.
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