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Critique de Darkcook


Dévorer Les Caprices de Marianne et redécouvrir Musset m'a fait me jeter et dévorer son roman autobiographique fameux (dont j'ai pourtant lu des choses mitigées au fil des années ici), et je me suis de nouveau régalé... Musset fabrique une ode à son histoire d'amour avec George Sand, et le personnage-narrateur Octave (encore ! Il y en avait un dans Les Caprices de Marianne), dans La Confession d'un enfant du siècle, est quasiment aussi transparent vis-à-vis De Musset que Bardamu ne l'est pour Céline. La Confession d'un enfant du siècle tient donc d'un hommage à la grande histoire d'amour De Musset, d'un roman-confession justement, où le processus par lequel passe le personnage est semblable au sien et sert comme de livre d'excuses à Sand pour avoir détruit leur relation. Mais Musset convoque aussi Les Souffrances du jeune Werther de Goethe et La Nouvelle Héloïse de Rousseau comme références, et on peut aisément voir La Confession d'un enfant du siècle comme son propre Werther, particulièrement au livre III.

Ayant dit ça, le roman commence par une introduction totalement inattendue, où Octave/Musset historicise son mal-être, puisqu'il se dit "enfant du siècle", donc produit, victime de son époque. Il explique par un topo historique, faire partie de la génération dont les pères se sont battus pour Napoléon. Les pères avaient un but, un objectif, un sens à leur existence, à leur destinée. Les enfants, sous la Restauration, avec un espèce d'entre-deux retour à la monarchie d'avant/espérance pleine de frustration pour un avenir meilleur, se trouvent coincés dans une époque qui semble s'être arrêtée en gare sur le train de l'Histoire. Perte de repères, de valeurs, désespoir : Musset explique que la génération devient blasphématrice de par ses désillusions, s'abîme dans les idées anglaises et allemandes d'un Byron ou d'un Goethe, et cela expliquera ensuite notamment ses errances morales, son libertinage et ses allers-retours passionnels vis-à-vis de Dieu.

L'on entame après cela véritablement le roman avec la très célèbre nuit où Octave découvre que sa bien-aimée le trompe. S'ensuit alors une immense chute psychologique, son personnage étant baigné de tout un idéal pastoral détruit en une nuit par cette seule infidélité. le monde que s'était bâti Octave est anéanti, et son ami Desgenais, sorte de mauvais génie (pas de jeu de mots...), le pousse alors à oublier sa dulcinée en s'abandonnant aux joies du libertinage. L'on pourra rire ou être frustré des éternels scrupules d'Octave à céder à la jouissance continuelle prônée par Desgenais, car on se dit que (mais c'est peut-être moi...) une sorte de Carpe Diem épicurien jouisseur perpétuel le guérirait de ses questions existentielles sur le siècle ou sur l'explosion de son idéal pastoral, en attendant éventuellement mieux. le livre II est donc celui de sa débauche, mais débauche forcée, suite d'épisodes où il se résigne à adopter des moeurs et un comportement prescrits, mais qui ne parviennent jamais à lui faire oublier sa dulcinée originelle. On est loin de l'expérience salvatrice que semble vivre Desgenais et que l'on espérerait pour Octave. Cette deuxième partie se referme sur la mort de son père et son exil à la campagne, dans la demeure familiale.

L'on en arrive pour moi alors à l'apothéose du livre, qui est d'ailleurs commentée à juste titre comme l'acmé du bonheur d'Octave par l'excellent Sylvain Ledda dans mon édition Garnier-Flammarion. La partie III est Les Souffrances du jeune Werther version Musset : Après un repli sur lui-même dans la maison du deuil et au milieu d'une campagne et nature mirifiques, Octave rencontre une nouvelle femme, Brigitte Pierson, avatar de George Sand. Elle éclipsera tout : La première maîtresse à l'infidélité traumatique et le tourbillon du libertinage. le livre III baigne dans un univers extraordinaire où Octave retrouve ses idéaux, avec une nature célébrée comme il se doit. le conte de fées s'y termine comme il se doit avec la conquête de Brigitte Pierson, mais je ne choisis pas justement par hasard le verbe "se termine"...

Dès le livre IV, une fois qu'Octave et Brigitte Pierson devraient vivre cet amour formidable, en happy end pastoral, comme en rêvait Octave depuis le début, le fait d'être enfin en couple (j'ai l'impression de parler comme un ado d'aujourd'hui) le fait tout d'un coup s'asseoir sur ses acquis et il sombre dans une jalousie paranoïaque perpétuelle qui entraînera la chute de leur relation. C'est surtout là que Musset semble confesser, à travers son double de fiction, comment il a torpillé son histoire avec Sand par les propres échauffements de son esprit et en devenant abominable : Jamais certain en totalité que Brigitte ne reproduira pas la trahison de sa première maîtresse, démangé par des pulsions irraisonnées restes de son libertinage et de ses discussions avec Desgenais, il n'aura de cesse de tourmenter Brigitte en s'enfonçant dans le soupçon obsessionnel toqué ou en lui disant regretter ses maîtresses précédentes. J'essaie de ne pas spoiler et vous laisse imaginer la fin, surtout que tout est mis sur la table : Rupture, suicide, maladie de Brigitte...

Le livre V est le retour à Paris censé être l'antichambre provisoire avant un voyage extraordinaire censé réparer toute leur histoire d'amour et tout le mal qu'Octave a causé à Brigitte. En réalité, on se doute bien que ce sera le dernier clou du cercueil de leur histoire...

Cela faisait très longtemps que je n'avais pas dévoré un classique avec une telle voracité et rapidité, et pourtant submergé par le boulot. Tous les ingrédients y étaient : Histoires d'amour tragique, XIXe romantique... J'ai a-do-ré. le roman est vraiment un régal du début à la fin, tant dans ses descriptions que dans le lyrisme De Musset et les références constantes (on apprend plein de choses justement de par l'excellence des commentaires de Ledda) aux autres oeuvres De Musset, aux auteurs et artistes qui l'ont influencé... On s'amusera, enrichi par les commentaires, des leitmotivs de l'auteur, notamment du double, omniprésent... Mon édition bénéficie de passages entre crochets qui sont des élans ou digressions supprimés un temps par Musset, dont on pourra estimer de la valeur ajoutée ou au contraire du caractère superflu, c'est selon. On peut à la limite préférer Les Souffrances du jeune Werther, trouver que tout ne se vaut pas toujours dedans, considérer Octave comme ridicule et insupportable par moments, se dire que Musset ne se hissera jamais sur mon podium personnel avec Hugo et Baudelaire, mais cela faisait vraiment très longtemps que je n'avais pas été aussi enthousiaste avec un roman. Je viens d'en offrir un deuxième exemplaire à un de mes proches, et vraiment, je le recommande fortement, pour tous les fans de l'époque et du romantisme !
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