Tunisie, vers un populisme autoritaire ?

Je tiens tout d'abord à remercier doublement ceux qui m'ont offert ce livre. En premier lieu Babelio et les éditions Riveneuve. Puis surtout Asma, une amie d'origine tunisienne qui a été la professeure de sciences de l'auteur franco-tunisien, qui m'a offert, au même moment le même ouvrage !. Je me suis retrouvé ainsi avec un livre en doublon, une critique à rédiger et un pays à découvrir. La Tunisie...
Dans ce monde arabe ayant vécu des crises conduisant à la chute de nombre des régimes installés, la Tunisie faisait figure jusqu'à peu de rescapée. Comme toujours cependant, la réalité a rattrapé le rêve et c'est la narration précise et documentée de l'avènement du régime de M. Kaïs Saïed qui est analysée dans cet essai.
Nous sommes le 25 Juillet 2023, deux ans après le coup de force l'ayant amené au pouvoir.
Malgré une construction claire, la difficulté a été de retenir le rôle de la multitude de protagonistes de cette histoire récente. Peu familier du pays, cela a nécessité pas mal d'allées et venues dans le livre pourtant riche en annexes et explications de bas de page très utiles, indispensables même.
L'auteur commence bien sûr par la conséquence de la révolution tunisienne ; le régime de transition politique mis en place et n'ayant jamais vraiment fonctionné. Il déroule tout le cheminement ayant abouti dans un premier temps à 2019 : La volonté d'éviter la concentration des pouvoirs, les partis politiques décrédibilisés, peu représentatifs, peu démocratiques, la crise économique, la crise sociale, les violences policières et la justice à plusieurs vitesses et finalement le Covid...
Vient ensuite le plus difficile à suivre pour un non initié : 2019 2021 et ses partis qui s'allient pour une cause, se déchirent pour une autre. Ennahda bien sûr au centre du mouvement, al Karama, Qalb Tounes, le PDL (parti destourien libre), Attayar etc...
Sans compter les personnalités diverses Rached Ghannouchi, Abir Moussi, Elyes Fakhfakh, Hichem Mechichi, Abdelkrim Harouni et son ultimatum nous emmenant au...
25 Juillet 2021 : allocution télévisée du locataire de Carthage, M. Kaïs Saïed, entouré de dignitaires de l'armée et du ministère de l'intérieur : il assume la totalité du pouvoir, il devient l'homme providentiel qu'attendent tous les adeptes de l'ordre en général, de la dictature également.
La dernière partie de l'essai fait un bilan des deux années depuis cette prise de pouvoir. Sans entrer dans les détails on observe ce qui semble être à l'oeuvre partout où la démocratie peine à produire de la justice et de la prospérité : l'avènement d'un pouvoir efficacement autoritaire.
J'ai lu ce livre avec mon esprit occidental et sincèrement, j'ai été frappé par les mécanismes décrits par l'auteur. J'y voyais le reflet de la situation politique de mon propre pays. Pour certaines phrases, on pouvait remplacer Tunisie par France ; « Un décret-loi, censé réglementer les infractions en ligne, introduit des dispositions liberticides. Au motif de la lutte –nécessaire- contre les fausses nouvelles ... pour « la production, la propagation, le partage, l'envoi et la préparation » de rumeurs ou de données mensongères. Des motifs vagues comme « trouble à l'ordre public » ou la « provocation de paniques » vont inévitablement pousser les citoyens à l'autocensure. »
On finit par la retranscription d'une interview donnée par M. Kaïs Saïed très intéressante pour comprendre le personnage et une chronologie des évènements.
Un livre d'une clarté remarquable au vu de la densité d'informations s'y trouvant. de plus, à part la claire dénonciation implicite d'un régime autoritaire, les penchants de l'auteur pour telle ou telle formation politique n'apparaissent pas franchement ce qui ajoute à l'impression d'impartialité ressentie à la lecture de l'ouvrage.
Un espoir pour nos voisins tunisiens ? Les jeunes ont goûté à la liberté d'expression et il est possible que les idées d'émancipation infusent suffisamment pour infléchir le cours des évènements. On ne peut jamais prédire l'avenir...

Hatem Nafti se révèle être un guide éclairé et sûr pour tenter de nous faire comprendre l'état actuel de la Tunisie et les motivations et prétentions du plus énigmatique de ses présidents Kaïs Saïed.
Après avoir dressé l'historique d'une décennie de tourments sociaux et politiques ayant abouti à une totale impasse de gouvernance, l'auteur aborde sans concession les rouages d'un système commandé par le seul maître de Carthage.

Après la Révolution de 2011, le pays semblait condamné à s'entredéchirer, victime après l'éviction du président dictateur Ben Ali du multipartisme et de l'opportunisme d'une classe politique qui n'aspirait qu'au poste présidentiel sans réel planification économique et sociale.
Le parti islamiste a su tirer avantage d'une situation pourrissante qu'il a bien souvent organisée. Il est craint par l'élite intellectuel du pays, soutenu par les plus démunis.
A cela s'ajoutait, la dépendance énergétique, la fonte du tourisme de masse principalement européen effrayé par une série d'attentats, l'instabilité sociale, la désindustrialisation, la corruption et l'intolérance religieuse qui ont fait passer une des économies les plus compétitive d'Afrique (selon la banque mondiale) à un pays en faillite.
Cette situation a abouti à la prise d'un pouvoir quasi intégrale en juillet 2021 par le président Saïed.
Désormais « Tout ce qui ne relève pas du président Kaïs Saïed à titre principal relève du président à titre subsidiaire » souligne avec malice M'Rad dans son ouvrage « Les dérives contraires en Tunisie ».
Hatem Nafti analyse finement ces dérives successives et toute l'ambiguïté d'une hyperprésidence qui si elle se veut éclairée ne relève pas le pays de ses lourdes difficultés.
A celles-ci s'ajoute aujourd'hui, une crise migratoire qui n'était pas encore perçue dans toute son ampleur.
Un grand merci à Babelio et aux Éditions Riveneuve pour cet essai remarquable.

Ce livre traite spécifiquement du pouvoir et du contexte de l'arrivé au pouvoir de l'actuel président tunisien Kaïs Saied.
L'intérêt du livre réside, dans un premier temps, dans la précision de la mise en parallèle des événements politiques et des événements sociaux qui ont succédés la révolution de 2011 en Tunisie. En plus de cela, les comparaisons avec différents modèles politiques permettent une meilleure compréhension des contradictions et problèmes politiques au sein du pays, mais pas seulement, les analyses qui montrent l'installation de l'autoritarisme me semblent être valables et utiles pour d'autres pays en Europe ou dans le monde.
Le second point positif se situe dans les distinctions conceptuelles importantes. Bien que le livre soit complexe de par l'usage d'un vocabulaire spécifique et technique, le mérite réside dans la prise en compte de la complexité de la vie politique et sociale tunisienne. Pour ne citer qu'un exemple de distinction, on retrouve la distinction entre un régime présidentiel et un régime présidentialiste ou entre une dictature de commission et une dictature de souveraineté, etc. Bien que je regrette que les explications ne soient pas plus développées.
Aussi, il est important de noter le travail de construction du livre. En effet, l'auteur s'est basé sur de nombreuses références (juridique, philosophique, sociologique, économique, politique, etc.) et de nombreux supports (entretiens, articles, livres, vidéos, etc.) afin d'appuyer ses analyses, ce qui permet une richesse et une compréhension plus globale de la situation tunisienne.