Et cela explique aussi, en partie, que j'aie mis de longues années à trouver l'âme sœur : le tabou suprême chez les Arméniens est de se marier en dehors de la communauté, acte d'une dissolution irrémédiable de l'identité.
La transmission d'une langue et d'une culture qui s'est faite durant des millénaires a-t-elle ainsi pris fin avec moi ?
Il est difficile de faire des parallèles entre le port du voile en Iran et en France. Mais le problème réside dans les deux cas dans le fait que l’on contraint les femmes à des règles vestimentaires qu’elles n’ont pas choisies.
La révolution mangeait ses enfants.
Mais rapidement, l'euphorie révolutionnaire avait cédé la place à la terreur. Khomeyni avait instauré la loi islamique, commençant à imposer le voile aux femmes dans l'espace public(1), réprimant dans le sang toutes les oppositions, y compris les factions marxistes qui le soutenaient quelques mois auparavant. La révolution mangeait ses enfants.
(1) Dès 1980, le voile devint une obligation dans les emplois publics, avant d'être généralisé (dans les rues, les transports, les restaurants..) en 1983.
Des couples revenaient de Dubaï avec d'immenses valises sur leurs chariots, des machines à laver, des réfrigérateurs. Des touristes indiens faisaient la queue non loin. L'Iran, durant toutes ces années où la République islamique avait été isolée de l'Occident, avait développée ses liens avec des pays de la région.
Et il accueillait avec des commentaires critiques ma passion pour Spider-Man, signe pour lui d'une américanisation sans frein de son pays.
C'était cela l'Iran d'avant la révolution : une société marquée par les inégalités et l'urbanisation galopante.
Et comme tout Iranien qui se respecte, il utilisait la poésie pour me convaincre.
Pour ma part, j'étais prête à me remettre en cause de fond en comble. Mais ce ne fut pas tant un processus intellectuel qu'un ébranlement émotionnel qui s'opéra en moi.
C'était la "double absence" de l'immigré si bien décrite par Abdelmalek Sayad, à la fois absent de son pays d'origine, de sa famille, et devant se battre pour se faire sa place dans le pays d'accueil.