Nos parents dirigeaient et dirigent encore aujourd’hui une modeste entreprise de pompes funèbres avec mon beau-frère, le mari de ma sœur. Comme le dit ma mère, les affaires sont « florissantes » puisque tout le monde doit mourir un jour. C’est mon grand-père paternel qui a fondé cette entreprise, il fabriquait lui-même les cercueils, solides et soignés, avec du bois de qualité. Mais c’est une épopée révolue, désormais les cercueils sont « à usage unique et importés », comme le regrette mon père. C’est donc une longue tradition familiale que de s’occuper de l’être humain aussi bien au tout début de sa vie que lorsqu’il arrive à sa destination finale, ce que souligne très justement ma mère.
L’homme doit d’abord naître pour pouvoir mourir.
Il n’y a pas grand chose sous le Soleil
qui puisse surprendre une femme ayant une si longue expérience du métier.
Si ce n’est de l’être humain lui-même.
En réalité, l’animal le plus précaire de la terre ne se remet jamais d’être né.
Le thermomètre sur le rebord extérieur de la fenêtre affiche moins quatre degrés et l’animal le plus vulnérable de la terre repose sur la balance, nu et démuni, il n’a ni plume ni fourrure pour se protéger, ni carapace, ni poils, rien qu’un fin duvet sur le sommet de la tête, un duvet que la clarté bleu du néon traverse.
Il ouvre les yeux pour la première fois.
Et voit la lumière.
Il ignore qu’il vient de naître.
Je lui dis, bienvenue, mon petit.
Je lui essuie la tête, je l’enveloppe dans une serviette puis je le donne à son père qui porte un t‑shirt avec l’inscription « le meilleur papa du monde ».
Bouleversé, l’homme pleure. c’est terminé. La mère épuisée sanglote aussi.
Le père se penche avec son bébé dans les bras et l’allonge prudemment sur le lit à côté de la femme. L’enfant tourne la tête vers la mère, il la regarde, les yeux encore emplis de ténèbres venus des profondeurs de la terre.
Il ne sait pas encore qu’elle est sa mère.
Elle le regarde et lui caressé la joue d’un doigt. Il ouvre la bouche. Il ignore pourquoi il est ici plutôt qu’ailleurs.
- Il a du roux dans les cheveux comme maman, remarque la parturiente.
C’est leur troisièmes fils.
- Ils sont tous nés en décembre, commente le père.
J’accueille l’enfant à sa naissance, je le soulève de terre et le présente au monde. je suis la mère de la lumière. de tous les mots de notre langue, je suis le plus beau- « Ljómodir » (mère de lumière)
La mort n'est rien
elle ne compte pas
je suis juste passé dans la pièce d'à côté,
et rien n'a changé
Rétrospectivement, je me dis que j'aurais pu répondre à la directrice du personnel qu'au cœur de la plupart des poèmes, il est question de la solitude et de la vanité de la vie.
Celui qui n'a pas voyagé à pied pendant l'hiver ignore ce qu'est vraiment la nuit.
Y a-t-il quelque lumière en ce pays ? Y a-t-il de la lumière en ce monde ? (page 108)
On dit que l'homme ne se remet jamais d'être né. Que l'expérience la plus difficile de la vie, c'est de venir au monde. Et que la plus difficile ensuite, c'est de s'habituer à la lumière (page 128)
Et j'avoue que j'ai été très ému quand vous avez dit que le meilleur moment de l'année pour comprendre l'essence de la lumière, c'est justement celui où elle est la plus rare. Par contre, je ne suis pas certain que tout le monde ait bien compris votre comparaison sur l'être humain qui croît dans les ténèbres telle la pomme de terre.
Le ciel s’est posé au sol où il forme un tapis moelleux et immaculé.
Je me rappelle subitement avoir lu dans le journal, il n’y a pas si longtemps, un article où il était question d’une baleine nageant dans les eaux islandaises qui chantait sur une autre longueur d’onde que ses congénères et s’était retrouvée isolée. L’article s’intitulait : La baleine solitaire. Alors que les baleines du troupeau chantaient sur une fréquence de 12-25. hertz, celle-ci émettait en 52 hertz et, par conséquent, les autres ne l’entendaient pas.
Personne ne sait exactement ce qu'est la lumière. On peut la mesurer, mais pas la comprendre.
La nuit grouille d'histoires, elle est le royaume de l'imaginaire, et il n'y a que le noir, le noir, et encore le noir.