Au lieu de ressentir de l'humilité devant le règne animal et végétal, l'homme veut tout s'approprier pour lui seul. Il veut posséder les poissons de l'océan et les rivières cristallines des montagnes, il veut posséder les chutes d'eau, les îles, il voudrait posséder jusqu'au soleil couchant. C'est pour lui un moyen d'oublier qu'il est mortel. Lorsqu'il comprend enfin ce qui importe le plus, c'est qu'il est malade et n'a plus longtemps à vivre.
Elle trempe les lèvres dans sa tasse
- Je viens de vérifier, reprend-elle, le nombre de femmes qui meurent en couches à travers le monde.
- Tu veux dire au total?
Elle baisse les yeux.
- Huit cent trente par jour, annonce-t-elle
Elle relève la tête et me dévisage.
- Comme si quatre avions et leurs passagers se crashaient tous les jours.
Elle hésite à nouveau.
- Et là, ça ferait la une aux informations, conclut-elle.
Comme l'être humain, les bonobos pratiquent le sexe
pour faire la paix.
le centre du monde, c’est toujours l’endroit où nous nous trouvons.
L'homme s'imagine que les oiseaux chantent pour lui, mais quand il s'éteindra, les forêts continueront de grandir et les animaux de s'épanouir. Les oiseaux continueront de voler d'un continent à l'autre, traversant les frontières et les océans. Ils feront leurs nids sur les landes, dans les marais ou sur les falaises. Ils n'auront plus besoin de partager les baies sauvages avec l'homme puisqu'il aura cessé d'en faire des nectars et des confitures.
Lorsque j’habitais avec tante Fifa, je l’ai entendue répéter plus d’une fois : « Quand je pense que cet homme a jadis été un nourrisson nu comme un vers ». Ou bien : « Et dire que cette femme a jadis été un bébé tout nu ». Elle prononçait ces paroles pour des raisons diverses, mais parvenait invariablement à la même conclusion : Avant de persécuter ceux qui ne partagent pas ses opinions, l’homme vient au monde complètement nu, avant de commettre tant d’erreurs dans sa vie, il mesurait une cinquantaine de centimètres. Il ne s’agissait pas uniquement pour elle de découvrir ce qui déraille, ce qui se produit entre-temps, ce qui rend l’humain capable d’une plus grande cruauté que toute autre espèce à l’égard de ses semblables, de la nature et de tous les êtres vivants, mais aussi de comprendre pourquoi certains cherchent la beauté et d’autres non. « Quand je pense… » soupirait-elle, les yeux fermés, en écoutant la Consolation n°3 en ré bémol majeur de Franz Liszt sous la direction d’Horowitz, la pochette posée sur les genoux. Elle n’avait pas besoin de terminer sa phrase, je comprenais. Ou bien elle attrapait un recueil de poésie, « une note tremblante sortie d’un invisible instrument » emplissait le salon, et elle disait : Quand je pense que ce poète pesait seulement 3,5 kilos à sa naissance ».
(pp.82-83)
Planifier, c'est mourir, de même qu'achever quelque chose. La vie nous file entre les doigts, elle s'attend toujours à ce que la camarde vienne la chercher, à ce que ce soit son tour, c'est qu'elle en a connu, des gens partis trop tôt, ça fait partie du métier. Elle dit : Chaque fois que je marche devant un cercueil, je pense : ce n'est pas moi. Pas aujourd'hui. Pas cette fois-ci. Encore un jour passé sans que la mort me prenne, telle est la rengaine qui suit chaque enterrement.
Tout porte à croire que l'être humain sera l'espèce la plus éphémère que la Terre ait portée.
Le plus difficile, c'est de s'habituer à la lumière.
[...] Je veux me sentir vivante, a-t-elle dit, manger, boire, dormir, aimer, communiquer, partager, découvrir et me vouer aux autres.