Magnifique roman.... Gros coup de coeur.... Somptueuse "engystopie"*....
Où pour paraphraser Sacha : "- Tu verras, là-bas bas c'est sublime. Sub limes. Au-delà des limites." : Sublime livre
Mais je choisis de débuter cette critique avec un pourquoi en guise d'introduction.
Pourquoi Byzance ?
Parce que Byzance avait su me parler depuis que je m'intéresse à l'histoire. M'émouvoir. Me fasciner. Mieux, me faire rêver. Parce que Byzance était belle, compliquée, attachante, mal connue, et qu'elle avait su se défendre, toute seule, pendant mille ans, contre tous les barbares imaginables. Parce que face à eux, dans ce monde hyperviolent, Byzance avait su, héritière du vieil Empire romain mais parlant le grec, à cheval entre l'Occident et l'Orient, à la fois combative et cultivée, chrétienne et païenne, protéger et transmettre au monde toutes les connaissances de l'Antiquité. Grâce aux Byzantins, on avait pu conserver le plus ancien manuscrit de l'Iliade, les pièces de
Sophocle, les poèmes de Pindare et d'importants ouvrages de science et de médecine, patiemment recopiés par les moines, appris par coeur par les enfants, garçons et filles, annotés par les savants à l'abri de ses murailles légendaires. Parce que sans Byzance, en effet, pas d'Hypatie, pas de Renaissance. Oui, c'est Byzance qui m'avait amené à la passion, également pour la Renaissance. C'est Byzance qui avait pris soin des grands textes antiques qui allaient éclairer la nuit du Moyen Âge. Et faire revenir le jour.
Byzance était un message.
Au départ, c'est le puissant sortilège des mosaïques. Des petits cubes de verre, enfermant parfois une feuille d'or, qui, patiemment assemblés, dessinaient sur les murs des palais, des églises, de drôles de princesses aux épaules frêles couvertes de manteaux précieux, l'air absent sous leurs tiares de perles. Pour connaître la raison de cette absence, je me suis aventuré, dans d'autres livres, découvrant le destin compliqué, labyrinthique, même, de cet empire que les Goths, Avars, Normands, Perses, Bulgares, Turcs seldjoukides, Arabes et même les Petchenègues, un peuple de la mer Noire dont les chefs aimaient boire dans le crâne de leurs ennemis pour s'approprier leur force, n'étaient pas parvenus à mettre à genoux. J'avais découvert, le souffle coupé, une civilisation au raffinement devenu légendaire, au point qu'on appelait ses princes les Porphyrogénètes, et ce mot l'ensorcelait. « Porphyrogénètes », c'est-à-dire « nés dans la chambre de pourpre », une vaste pièce du palais aux murs d'un marbre rouge vif où les reines donnaient la vie. Byzance, c'était une civilisation que l'Occident tenait pour décadente, noyée dans le luxe et les infinies complexités de ses rituels de cour, mais pourtant assez technologiquement avancée pour inventer une arme fatale nommée le feu grégeois, un lance-flammes capable de détruire une flotte entière et dont le secret était bien gardé.
Plus le temps passait, plus je plongeais dans un monde chatoyant, énigmatique, codé, bigarré, métissé, hybride, abritant, certes, à l'ombre des fontaines de sa capitale des discussions extrêmement sophistiquées sur le sexe des anges, mais aussi des meurtres cruels mêlant des reines et des princes dont on crevait les yeux dans leur sommeil, pulvérisant leurs rêves sous une douleur à rendre fou. Il y avait aussi tous ces noms qui excitaient l'imaginaire. Pas seulement « porphyrogénète », mais aussi des noms de lieux – Trébizonde, Césarée, sans parler du plus beau d'entre eux, Byzance – et des noms de rois et de reines qui ne disaient plus rien à personne mais qui faisaient flamber l'imagination comme Irène l'Athénienne, devenue
Irène de Byzance, si belle et si pieuse, si politique aussi, dont j'ai pu lire une magnifique biographie écrite par
Dominique Barbe. Première femme à régner sur l'Empire, elle aurait voulu unir l'Orient et l'Occident en épousant Charlemagne...
Ces murailles tombées sous les assauts des armées du sultan Mehmet II qui, dit-on, était entré dans Sainte-Sophie, c'est-à-dire Sainte-Sagesse, à cheval, pour mieux salir ce joyau édifié par les chrétiens. Mais il avait fallu mille ans pour ça.
En attendant je m'y plongeait, et m'y replongeait, comme on n'en finit pas de respirer, lentement, en fermant les yeux, le parfum capiteux qui s'échappe d'un flacon très ancien dont on vient de soulever le bouchon de cristal.
Cette histoire gorgée d'or et de sang dans laquelle notre monde avait plongé ses racines et tirait, qu'il le veuille ou non, une partie de ce qu'il était.
Pour Mina une des des protagoniste de ce roman "Tout le monde s'en fichait ? Peut-être. Savoir des choses était devenu si exotique... Mais Mina, ça l'enfiévrait, Tout le monde avait oublié ? Pas elle. Et elle la ressusciterait, cette histoire. Et pour la ressusciter elle l'enseignerait."
Que
Christophe Ono-dit-Biot me pardonne cet emprunt mais c'est une si belle description qui me parle, et une si belle réponse à la fascination que j'ai toujours eu pour Byzance, que je ne pouvais résister ....
Et puis il y a Sacha, son mari qui "étanchait sa soif de romanesque en donnant un coup de main aux scénaristes d'une série télévisuelle – « Les séries sont les romans d'aujourd'hui », disait-il à Mina qui répliquait : « Tu es bête de dire ça »"
Son métier consiste à « débloquer l'imaginaire des scénaristes quand ils séchaient », apparaît extrêmement cultivé.
Christophe Ono-dit-Biot nous le présentant comme "d'un viagra dramaturgique, puisant sans se gêner dans l'Histoire où il n'y avait qu'à se servir. » Il n'éprouve aucun scrupule à nourrir les séries télévisées d'un contenu que les scénaristes assaisonnent d'anachronisme : "Entendre Guillaume le Conquérant citer une phrase du Prince (« On fait la guerre quand on veut, on la termine quand on peut »), même cinq cents ans avant que cette phrase soit écrite, cela faisait quand même son petit effet sur le spectateur. Et puis, pas grave, qui lisait encore Machiavel ?" ou dans lesquelles on ajoutait sans vergogne sorcières lubriques et des nains.
NB : toute ressemblance avec des séries existantes ou ayant déjà existé serait purement fortuite.
Et leur fille Irène/Irénée, pourquoi 2 prénoms car en 1060, le chrysobulle de l'empereur Constantin Monomaque interdit le mont Athos "à tout animal femelle, toute femme, tout eunuque et tout visage lisse" :
"Seules les abeilles et quelques chattes y sont tolérées. Des chattes, pour chasser les souris.
« Donc il y a aussi des souris femelles ?
— Oui. Et des poules, car on se sert de leurs oeufs pour la peinture.
— Une petite fille, c'est une femelle ?
— Non. Mais les petites filles aussi sont interdites..."
Ce qui ne va pas sans poser quelques problèmes pour le père et sa fille.
Et puis ce qui les a fait fuir en direction du Mont Athos, c'est cette critique envers un autre "Papa" élu lors des élections de 2027, en faisant passer avec une maestria remarquable, comme dans de nombreux pays européens, le message suivant : le temps était venu de la réappropriation du pays par des gens qui l'aimaient vraiment. Qui lui voulaient du « bien ». Et qui en recevraient, symétriquement, autant de lui. Les autres ? Qu'ils la ferment. Et s'ils ne comprenaient pas, tant pis pour eux
Le désir d'un « vrai chef » dominait depuis longtemps les sondages. Et comme les citoyens les plus raisonnables désertaient les isoloirs, tout ça a eu lieu.
"Oui, ces cinq dernières années tout s'était délité à une vitesse incroyable. Sacha ne reconnaissait plus le pays dans lequel il avait grandi. Celui qui célébrait la lecture des grands textes, l'esprit critique, l'engagement ou la beauté. Il semblait avoir été balayé par une immense coulée de boue. Mais une boue confortable, qui tenait chaud, et dans laquelle certains organismes prospéraient avec gourmandise. Ceux qui piétinaient le mieux le sens de l'honneur et de la cohérence, et qui n'étaient jamais contre un reniement s'il était nécessaire à leur survie ou à leur profit. Dire le contraire de ce qu'on avait dit la veille était la preuve d'une grande faculté d'adaptation. La vérité n'existait pas. Il n'y avait que des perceptions."
NB : toute ressemblance avec des événements existants, ayant déjà existé ou qui pourraient exister serait purement fortuite.
" Papa a restauré l'État – protecteur, ferme, paternel – et le sens de la politique : une énergie, un espoir. « Un cap », disent-ils, souvent blancs, mais pas seulement, fiers d'avoir pris leur revanche sur les « communautaristes qui ont creusé leur propre tombe ». Mina se pince. On ne lui connaît pas de compagne, de compagnon ? Parce que Papa est à tout le monde, ne réserve pas son amour."
Et en parallèle de ce "papa", il y a ce PAPA et sa fille. Sacha découvre pourquoi il est fou de sa fille, il est au contraire débordant d'amour: il croyait lui transmettre des choses, c'est elle qui lui rappelle comment les choses doivent être. Elle a de la force, déjà. Il va lui donner celle qui lui reste.
Ce « Miroir de la princesse » que Sacha compose depuis un an pour Irène qui n'a rien d'une préparation au pouvoir – il lui conseillerait d'ailleurs de s'en tenir éloignée. C'est plutôt une préparation à la vie, à l'usage du monde et à la meilleure manière de l'habiter. Sacha y collectionne, pêle-mêle, sous la forme d'une anthologie, avec une simple date, parfois un commentaire, quelques-unes des choses qu'il a particulièrement aimées au cours de sa vie.
Et enfin ce lieu où plutôt ces lieux les monastères du Mont Athos, dont les descriptions à la fois temporelles, spirituelles, sensuelles sans son acception littérale (vue, odorat, toucher, goût, ouïe), originelles sont absolument magnifiques et poétiques :
"la Sainte Montagne, appelée aussi le mont Athos. Une presqu'île de trois cents kilomètres carrés, deux fois plus longue que large, cernée par les vagues de la Méditerranée et terminée par un promontoire coiffé de neige. Semés sur ses flancs et sa croupe, une vingtaine de monastères composaient un quasi-État uni autour de la règle de l'abaton, autrement dit du « lieu pur », « auquel on n'accède pas ». Un principe d'inviolabilité remontant à l'empereur de Byzance qui avait offert, au XIe siècle, ce territoire aux moines afin de se racheter de ses péchés. L'ancienne règle prévalait toujours dans cette théocratie orthodoxe devenue de plus en plus autonome avec le temps, où les lois du monde ne s'appliquaient plus. On y changeait de nom pour y disparaître en tant qu'homme et renaître à l'état d'ange. Ainsi se voyaient les moines : des anges, c'est-à-dire des êtres sans désir, ayant renoncé à leur corps et à leurs pulsions, uniquement tournés vers la lumière de Dieu comme des héliotropes vers le soleil.
Et je choisis de terminer cette critique avec un pourquoi en guise de conclusion
Pourquoi le mont Athos ?
C'est une capsule temporelle, un voyage dans le temps... Comme ce livre..
* Engys en grec voulant dire proche.
Je me permets ce néologisme comme à pu le faire Robert
McFarlane dans son dernier livre parlant poétiquement de « Xénotopies », c'est-à-dire « lieux étrangers » ou « lieux d'ailleurs » ; terme qui viendrait se joindre à nos « utopies » et à nos « dystopies ».