Retour sur ma lecture de "
Ici n'est plus ici", de
Tommy Orange.
C'est le premier roman de cet auteur de 38 ans d'origine cheyenne, qui a choisi de parler du peuple indien. A l'instar de
Gabriel Tallent l'année dernière ("
my absolute darling"), le succès critique et commercial de ce premier effort a propulsé
Tommy Orange dans la liste des nouveaux prodiges des lettres US.
Publié dans la très belle collection "Terres d'Amérique" chez Albin Michel, "
Ici n'est plus ici" a figuré dans la liste finale du Pulitzer et du National Book Award. Il a reçu le PEN/Hemingway Award et, chez nous, est dans les 3 derniers romans retenus pour le grand prix de littérature americaine (en compagnie de "
L'écho du temps" de
Kevin Powers et de "archives des temps perdus" de
Valeria Luiselli), prix ayant couronné
Richard Powers en 2018 (pour "
l'arbre monde") et
Richard Russo en 2017 (pour "A malin, malin et demi")
Ces bases étant posées, qu'en est-il du contenu du roman et mérite-t-il cette réputation flatteuse, bien que tempérée par certains avis de lecteurs français que j'ai pu lire?
Le prologue nous rappelle quelques éléments violents issus du passé des Indiens d'Amérique, et les exactions qui ont pu être commises.
Cela me fait penser à un magnifique titre du rappeur Medine, "Petit Cheval" (issu de toute une série de morceaux appelés "enfants du destin").
Cette introduction met en lumière cette population qu'il appelle les indiens urbains. Ceux qui sont "désormais plus habitués à la silhouette des gratte-ciel d'Oakland qu'à n'importe quelle chaîne de montagnes sacrées", "plus habitués au bruit d'une voie express qu'à celui des rivières, au hurlement des trains dans le lointain qu'à celui des loups, à l'odeur d'essence, de béton coulé de frais et de caoutchouc brûlé qu'à celle du cèdre, de la sauge"
C'est eux que nous allons suivre, dans ce roman choral, format particulièrement difficile selon moi pour maintenir l'intérêt du lecteur.
Il se déroule à Oakland, de nos jours, et raconte l'histoire de 12 personnages, essentiellement de sang indien, qui, comme le dit la 4ème de couverture, vont à l'occasion d'un grand pow wow "voir leur destin se lier"
Un jeune homme atteint de SAF, un autre en surpoids ne trouvant pas de travail malgré son diplôme, quelques petits dealers, deux soeurs ayant connu l'occupation d'Alcatraz par les indiens en 1970, le petit-fils de l'une d'elles, un concierge licencié, etc...
Ce sont quelques uns des personnages que l'on va côtoyer durant les 330 pages de ce roman, des personnages en marge, ayant souvent un penchant, héréditaire, pour l'alcool, aux parents absents voire inconnus; et donc fatalement en quête d'identité. de leur identité indienne, longtemps méconnue ou refoulée.
Un point commun: le grand Pow Wow d'Oakland auquel ils vont se rendre, pour des raisons différentes, qu'elles soient professionnelles ou personnelles.
La première moitié du roman consiste en l'enchaînement classique de chapitres dédiés à chaque protagoniste.
C'est à peu près à la moitié du livre que les premières interactions vont se mettre en place, chacun ayant des raisons différentes pour participer au Pow Wow.
Et c'est à ce moment là que "
ici n'est plus ici" gagne en intérêt, lui qui jusque jusque-là souffrait de ce manque d'identification et d'empathie inhérent à cette forme. Les liens se tissent, ou se retissent en provenance d'un passé méconnu. Et les événements s'accélèrent.
Au niveau stylistique, peu de fioritures ou d'envolées lyriques. le style m'a paru très simple, mais il reflète les personnages et leurs états d'âme.
Le premier roman de
Tommy Orange est un bon roman mais n'est pas, selon moi, le chef d'oeuvre vanté par certains.
La forme utilisée est difficile à manier. C'était déjà le cas pour son compatriote Richard
Richard Powers dans "
l'arbre monde". Ici, le vecteur de rassemblement est toutefois plus réaliste que ce qui avait été choisi par Powers.
Orange a été très ambitieux. Il aurait gagné à resserer son récit sur quelques personnages et à développer son idée d'une manière différente.
Il reste, tout comme
Gabriel Tallent, un auteur à suivre dans l'avenir.
Bonne lecture !