Elle est comme ça, la petite. Il y a des jours où elle est une machine à tout faire. Et d'autres où elle se refuse à tout et plonge dans ses lectures.
Ces objets (les livres), disait-elle, qui prennent peu de place dans la maison, mais beaucoup à l'intérieur de soi, dans son coeur, qui font jaillir la lumière dans le coin le plus reculé, le plus sombre de soi-même.
Le jour s'effondre
La nuit enveloppe tout
inerte
fissuré
le temps ne s'acharne plus à compter
chaque corps est un puits où s'engouffrent
tous les cris du monde
seule dans le noir absolu de la nuit
une ville agonise
Le seul point de ralliement possible entre l'oppresseur et l'oppressé est dans l'acte même d'oppresser. L'oppressé souffre. L'oppresseur jouit.
Les mots mon amour sont des tanières de sang et de cris. Je raconte pour toi, ma petite. Je te raconte et t'appelle de mon exil intérieur. De mon île secrète, la plus lointaine. Les mots mon amour sont muets. Les gestes aussi pour te nommer. Tous les mots de mon corps ne sauraient suffire pour dire la douleur de la terre. ( p21)
La poésie n'est pas censée comprendre. Seulement sentir. Sentir jusqu'à pleurer...
La petite. Elle n'est pas morte. Elle n'a pas le droit de mourir. Je sens encore son odeur dans tout ce qui bouge. C'est l'odeur de catastrophe, l'odeur des cadavres qui monte de la rue, de tout ce qui bouge. Tous les monstres en béton sont tombés. Tous les bordels. La Grand-Rue n'est plus ce qu'elle était. Mais nous, on ne mourra jamais. Nous, les putains de la Grand-Rue. Nous sommes les immortelles.
Comment dire? Comment trouver les mots pour dire son amour pour les livres? Ces objets, disaiit-elle, qui prennent peu de place dans la maison, mais beaucoup à l'intérieur de soi, dans son coeur, qui font jaillir la lumière dans le coin le plus reculé, le plus sombre de soi-même.
Je lui disais que la littérature n'est pas une chose pour des gens comme nous, pour les putes. De laisser ça à ceux qui n'ont rien à faire. Les bienheureux. Les ayants droit. Peut-être que j'avais tort. (p. 104)
Imprime ça bien dans ta petite tête de pute, petite. Ne demande jamais à un client d'être gentil avec toi. Le jour où tu mettras à nu ton talon d'Achille, tu seras piétinée. C'est juste un inconnu, un étranger qui paie pour un service. Au moment où il te balance, c'est ton homme. Fais en sorte qu'il en tire le maximum de plaisir, et toi le maximum de fric. Tu n'as pas d'autres garanties. (p. 82)