Citations sur Mots immigrés (43)
L'arabe [la langue] de ce temps-là était par nature passeur. Avec un terrain de jeu idéal : la Méditerranée. Plaque tournante entre l'Orient et l'Occident, lieu de tous les échanges.
L’apport de l’arabe n’est pas un 'hasard' ('az-zahr', 'jeu de dés'). 'Alambic' nous vient-il de l’arabe 'al-‘anbîq', 'le vase' ? En fait, il l’a emprunté au grec 'ambix', 'vase à distiller'. 'L’azur' vient du persan, via l’arabe et le latin médiéval ; 'l’orange' est un mot sanskrit, devenu persan, puis arabe, puis italien…
(p. 66)
Les jours ainsi libérés allaient permettre de rendre hommage aux vagues successives de mots immigrés qui avaient contribué à bâtir ce chef-d'œuvre qui a nom 'langue française'.
Chaque soir, juste avant 20 heures et le grand rendez-vous des journaux télévisés, vingt minutes seraient réservées à des remerciements. Oui, on allait enfin rappeler aux Français et aux Françaises ce qu'ils et elles doivent à tous ces mots venus d'ailleurs, de tout près ou de très loin.
(p. 29-30)
Remerciements
Nous ne sommes pas les premiers ni, espérons-le, les derniers, à rendre hommage aux mots immigrés. Notre amour a des sources, qui sont des pages, nées de formidables savoirs. Alors merci géant et fraternel à Marie Treps (Les Mots voyageurs, Les Mots oiseaux, Les Mots migrateurs), à Jean Pruvost (Nos Ancêtres les Arabes, L’Histoire de la langue française, un vrai roman…), Henriette Walter, dont les œuvres principales viennent d’être rassemblées dans une merveille de « Bouquins » : Langues d’ici et d’ailleurs. Leurs livres font entendre, dans notre langue, toutes celles du monde.
Votre langue est notre « sœur latine ». Nous ne vous remercierons jamais assez pour vos cadeaux. Jusque vers 1960, c’est l’italien qui a le plus enrichi le français. Dans tous les domaines, et pas des moindres ! La cuisine (pizza, spaghetti, osso buco, mais aussi saucisson, fruits de mer, festin), la musique (allegro, concerto, duo, piano, mais aussi contrebasse, mandoline et violon), l’art (aquarelle, buste, clair-obscur, esquisse, modèle, pastiche, reflet), le confort (appartement, paravent, salon, store, villa), l’élégance (escarpin, lavande, ombrelle, politesse, moustache), sans oublier les jeux amoureux (bagatelle, caresse, caprice, incartade). Savez-vous que Montaigne, le grand Montaigne, découvrit, au cours d’un long voyage en Italie, une pratique d’hygiène qui l’enchanta : d’un tuyau fixé au plafond de l’étuve tombait une délicieuse eau chaude.
Avec sagesse, Indigo avait expliqué que, sans élection, plus de démocratie. La dictature s’installait. Et nul n’est plus ennemi des mots, de la diversité et de la liberté des mots qu’une dictature !
Quelle catastrophe avait donc frappé notre France ? Ce soir-là, le pays était vide.
Sans prévenir, une bombe était-elle tombée, de celles qu'on appelle “à neutrons” parce qu'elles tuent les êtres humains, mais laissent debout les villes ? Une pandémie brutale nous avait-elle frappés ? Mais alors, où étaient passés les cadavres ?
Plus personne dans les champs.
Plus personne dans les rues.
Pas même une voiture de police ou un couple d'amoureux.
Le plus drôle est ceci : bien des mots que, par snobisme, certains d'entre vous croient emprunter à la langue anglaise proviennent en fait du français médiéval.
- Au lieu de s'étriper les unes des autres, les langues s'approchent, elles se flairent, elles se touchent, et quand elles se plaisent ou se jugent utiles, elles se croisent, elles s'accueillent.
Le blues est le chant de la dépossession, la mélopée des esclaves arrachés de leur Afrique pour aller cultiver du coton en Amérique. Déjà du blanchiment. N’ayez crainte, moi, je ne suis pas raciste : je n’ai rien contre les couleurs pâles, mais ne vous y trompez pas, cet assassinat programmé des langues est du blanchiment. Et vous aussi, vous allez vous retrouver en esclavage. Moins de mots, moins de fenêtres pour regarder le monde, moins de sourires et moins de révoltes, moins de lumières !
Mais qu’avez-vous à déclarer ? », vous pensez bien que le mot ainsi interrogé savait quoi répondre, depuis le temps que leurs passeurs le préparaient : « Qu’avons-nous à déclarer ? Mais justement tout ce que, faute de mots, faute de tous mes semblables, votre langue ne peut encore nommer. »