J'ai affronté cette histoire avec l'idée que l'homme n'est pas foncièrement mauvais. (p. 330)
J'ai vu un pays entièrement dépouillé, où une fourchette ne se donne pas, où un hamac est un trésor. Rien n'est plus réel que le rien.
Se tuer est interdit. Se tuer empêche l'aveu ; la justice populaire ; donc l'exécution. (p. 158)
La mémoire est un repère. Ce que je cherche, c’est la compréhension de la nature de ce crime et non le culte de la mémoire.
Fascinant de voir à quel point ce régime criminel a su donner l'image d'un monde idéal, égalitaire, solidaire, novateur. Or c'est un enfer qui nous a été donné. (p. 219)
Il m'a toujours semblé que ce régime, affirmant fonder une société égalitaire, ordonnée, profondément juste et libre, déchirant pour cela l'ancienne société, avait entretenu un flou inhumain : chacun peut disparaître à chaque instant, autrement dit : être déplacé ; renommé ; exécuté. Et il ne reste aucune trace. Je crois qu'il y a un nom pour ce régime : la terreur. (p. 186)
Duch [bourreau] : Je suis jour et nuit avec la mort.
Je lui réponds : Moi aussi. Mais nous ne sommes pas du même côté.
(p. 186)
Disons que c’est un chapitre compliqué de la vie. Et que je ne pourrai jamais pardonner. Pour moi, le pardon est très intime. Seules les politiques s’arrogent le droit de gracier ou de pardonner au nom de tous – ce qui est inconcevable pour un crime de masse ou un génocide. Je ne crois pas à la réconciliation par décret. Et tout ce qui se résout trop vite m’effraie. C’est la pacification de l’âme qui amène la réconciliation, et non l’inverse. Je crois à la pédagogie plus qu’à la justice. Je crois au travail dans le temps, au travail du temps. Je veux comprendre, expliquer, me souvenir – dans cet ordre précisément. (p. 304)
Dans la révolution khmère rouge, ce grand corps qu'est le peuple doit être rassemblé, uni, homogène : que chaque individu soit méconnaissable. (p. 229)
La privation est le moyen d'extermination le plus simple, le plus efficace ; le moins coûteux ; et le moins explicite : ni arme, ni slogan ; ni riz, ni eau. (p. 151)