L'élimination

Mon père a eu un destin à part : son propre père l'a choisi pour être éduqué. Pourquoi lui plutôt qu'un autre, c'est une énigme. Ses frères et soeurs étaient aux champs, à repiquer le riz ou à garder les troupeaux. Lui était à l'école à Phnom Penh. Il ne m'a jamais parlé de cette époque, mais il a du se sentir heureux et bien seul, dans la capitale où les élèves riaient de ses pauvres vêtements.

RAPPEL : Mercredi 09 octobre 2013 20h50 sur Arte
"L'image manquante " de Rithy Panh. Prix "un certain regard", Cannes, 2013

" Monsieur Rithy, les Khmers rouges, c'est l'élimination. L'homme n'a droit à rien."

« Rien n'était à moi : pas même ma nudité. Si j'ose dire : pas même notre nudité, car je n'ai pas le souvenir d'avoir vu un corps vivant dénudé. Je ne me souviens pas non plus d'avoir vu mon visage, sauf dans les reflets de l'eau. »

Bien sûr, on peut détourner le regard. Perdre son objet. Le laisser s'écarter, flotter, disparaître – un simple mouvement des yeux suffit. Bien sûr, on peut ne pas regarder un pays ; ne pas savoir où il se trouve ; soupirer à l'évocation répétitive d'un nom malheureux. On peut même décider que ce qui a eu lieu est incompréhensible et inhumain. Alors, on détourne le regard. C'est une liberté universelle.

la faim est le premier des crimes de masse – si difficile à établir avec certitude, comme si ses causes même étaient mangées

Je sais aujourd'hui que la vitesse est un facteur décisif - qui semble ne pas peser, rétrospectivement. Nous n'avons pas eu le temps d'être fascinés, ou même convaincus. Nous avons été immédiatement déplacés. Affamés. Séparés. Terrorisés. Privés de parole et de tous droits. Nous avons été brisés. Nous avons été submergés par la faim et la peur. Et toute ma famille a disparu en six mois. (p. 119)

La faim est le premier des crimes de masse - si difficile à établir avec certitude, comme si ses causes mêmes étaient mangées. Staline affame ses paysans par millions. Il persécute ses élites. Ses généraux, ses médecins, ses amis, ses proches, sa famille. Les massacres sont dans les révolutions. Ceux qui réclament le renversement de la société le savent très bien et ne condamnent jamais la violence. Leur argument est toujours le même : seule la violence chasse une violence antérieure. La violence antérieure était hideuse et cruelle. La violence nouvelle est pure et bénéfique : elle transforme (pour ne pas dire : elle transfigure). Ce n'est pas une violence contre l'individu, c'est un acte politique. (p. 76-77)

Le peuple est une idée. Est-ce l'accomplissement des Lumières - la raison universelle à l'oeuvre? Ou est-ce leur fin?
Dans ces slogans, ces gestes, ces paroles, ces images, je ne vois qu'une exaltation abstraite. Quand l'idée devient l'idéal, posez -vous cette ultime question: et l'homme? Réponse: l'homme, quel ennui...

Les massacres sont dans les révolutions. Ceux qui réclament le renversement de la société le savent très bien et ne condamnent jamais la violence. leur argument est toujours le même : seule la violence chasse une violence antérieure. La violence antérieure était hideuse et cruelle. La violence nouvelle est pure et bénéfique : elle transforme (pour ne pas dire : elle transfigure). Ce n'est pas une violence contre l'individu, c'est un acte politique. or le sang purifie. Je reviendrai plus tard sur ce slogan de l'Angkar, qu'admire tant Duch : "La dette de sang doit être remboursée par le sang".