Étonnante et redoutable initiation à une psychiatrie merveilleuse, comme d'outre-monde : un exercice poétique, tendre, cruel et inattendu, de haute volée.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/03/09/note-de-lecture-
monstrueuse-feerie-laurent-pepin/
D'une enfance nourrie de quelques franches bizarreries dont les traumatismes se révèleront peut-être en temps voulu, et d'une solide pop culture de fantasy dans laquelle le Seigneur des Anneaux cohabite presque paisiblement avec Harry Potter, le narrateur a décanté, en une étrange confrontation au réel, permanente et feutrée, une vision du monde qui lui permet une lecture bien personnelle de son quotidien au centre psychiatrique où il exerce : là où la plupart des gens voient au mieux des « patients » et au pire des « fous », il voit des Monuments. Bien entendu, à l'intérieur des Monuments, comme en chacun de nous, des Monstres peuvent rôder. Mais on y trouve aussi des Elfes, comme celle avec qui il partage désormais un bon bout de sa vie.
Alors que des bribes du passé, jusqu'alors plus ou moins soigneusement enfouies, se mettent à émerger des limbes où elles étaient confinées, et que des forces sibyllines semblent s'amonceler dans ce quotidien pourtant paradoxalement bien réglé, cet équilibre de vie, aussi dynamique que fragile, résistera-t-il à ce bouillonnement sous un crâne qui s'esquisse désormais ?
Avec cette «
Monstrueuse féérie » publiée en octobre 2020 chez Flatland,
Laurent Pépin nous offre une incursion rare dans ce qui pourrait sans doute s'intituler scientifiquement, comme il existe des échecs féériques, une psychiatrie merveilleuse. Se tenant au barycentre d'un cercle de protection sur le pourtour duquel on remarquerait sans doute aussi bien la « Psychanalyse des contes de fée » de
Bruno Bettelheim (ou plutôt ce qui apparaîtrait comme sa source réelle, le travail de Julius Heuscher) que le « Marcher droit, tourner en rond » d'Emmanuel Venet, le « Soi et les autres » de
R.D. Laing que « L'Anti-Oedipe » de
Gilles Deleuze et
Félix Guattari, ou encore la série entière des aventures de Bobby Potemkine de
Manuela Draeger (c'est peut-être bien dans ces textes prétendument « pour enfants » de cet hétéronyme-là d'
Antoine Volodine que l'on trouverait la congruence la plus forte en termes de tonalité, de maniement méticuleux et pourtant comme « mine de rien » de la tendresse et de l'inquiétude) que le « Chant de la mutilation » de
Jason Hrivnak ou « L'écrouloir » de
Nicolas Rozier, il en surgit formidablement armé par la grâce d'une écriture bien peu commune, une écriture qui joue avec la tentation de la confession mais s'en échappe crânement à la moindre opportunité, retravaillant continuellement l'insertion de ses horcruxes (jalons psycho-fantastiques ô combien pertinents ici) dans une poésie discrète mais agissante, sous couvert de travail psychologique de terrain et d'enquête au près sur ce qui peut lier, encore et toujours, la création et la psychose. D'abord intrigantes, puis rapidement envoûtantes, les 100 pages à peine de cette novella donnent résolument envie de se plonger sans attendre dans leur suite, «
Angélus des ogres ».
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