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Critique de RuhaudEtienne



Né à Arezzo en 1304, Pétrarque occupera différentes fonctions officielles et connaîtra l'errance toute sa vie. Chantre de l'amour galant et adorateur de Laure, il reste avant tout pour ses contemporains un érudit découvrant des manuscrits, auteur de plusieurs études historiques (Rerum memorandum, 1344) et philosophiques (De vita solitaria, 1346-1356 ; de dio religiosorum). Adulé de son vivant[1], il fera l'objet d'un véritable culte après sa mort, en 1374 à Padoue, et particulièrement en France, puisque Maurice Scève et la Pléiade (Ronsard, Du Bellay…) le considéreront comme un maître incontesté. Aujourd'hui le pétrarquisme ne fait plus à proprement parler école. Néanmoins la beauté des Canzoniere et la richesse de réflexion du génie italien ont traversé les siècles : nombre de lecteurs continuent à apprécier une oeuvre constamment retraduite et re-commentée, comme en témoigne l'essai de Denis Montebello, consacré au fameux Secretum.
En 1351, Pétrarque se trouve dans le Vaucluse. Éprouvé par les tourments de l'exil, par la mort de Laure, sa Muse, l'homme achève la rédaction de "Secretum meum", conversation imaginaire entre Saint Augustin et le poète lui-même, à l'instar de "La Consolation de la philosophie" de Boèce ou du "Banquet" de Dante, autre Florentin banni. Écrit en latin, riche d'une vaste culture antique, "Mon Secret" évoque à la fois le deuil amoureux, la révélation mystique et les doutes de l'humaniste, qui considère sa propre douleur comme une source d'enrichissement intérieur, en opposition à toute la tradition médiévale.

Commenter pareil livre constitue une fameuse gageure. Denis Montebello s'y est attelé, a révélé les mécanismes propres à un texte souvent obscur pour le non-initié, entre conversation philosophico-théologique et autobiographie dialoguée. Traducteur de l''Ascension du Mont Ventoux', et la Lettre à la postérité, l'auteur du Sentiment océanique se livre là à une belle exégèse, nous prend par la main pour s'aventurer dans la forêt du sens, débroussailler l'obscur maquis du texte, procédant d'une démarche rigoureuse, sans pour autant céder à la pesanteur ou au ton péremptoire de certains érudits. « Détective littéraire » pour reprendre l'expression d'Alberto Manguel[2], l'écrivain éclaire, ou tente d'éclairer les références historiques et/ou spirituelles, mais n'émet que des hypothèses, balise un chemin éventuel, non définitif ou figé. Reconstituant patiemment le parcours de Pétrarque à partir d'allusions, de non-dits, de clins d'oeil, il justifie d'ailleurs son activité dans l'essai, et revendique la notion de jeu, soit la possibilité d'aborder la prose de Pétrarque de façon à la fois sérieuse et humoristique, dans une sorte de complicité bienveillante avec le lecteur, un rapport d'égal à égal : « le poète est inspiré. Sa parole est oracle. Il faut un prêtre pour l'interpréter. Un truchement. Qui soit guide autant qu'interprète » (p. 23). La drôlerie, le parti pris ludique rendent ainsi Mon secret accessible, notamment lorsque D. Montebello évoque les « fils de pub » ou autres éléments contemporains, à côté de Cicéron ou de Virgile. Souple et imagée, parfois audacieuse, la langue du guide en question épouse les courbes de cet émouvant "Secret", écrit au XIVème siècle, et pourtant si actuel.

Article d'Etienne Ruhaud parue dans "Diérèse".
Lien : https://pagepaysage.wordpres..
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