Plus qu'une simple apologie de Nirvana, comme le suggère le titre de l'ouvrage, Drain You est une tranche de vie. Celle d'un adolescent, comme les autres, qui se cherche, qui doute, et qui a des potes et des petites nanas si impressionnantes autour de lui. Il y a aussi les cours à la fac, l'importance du look : « Ma tronche fait une tache sur le miroir. Je passe un peu d'eau sur mon visage. Je colle du gel dans mes cheveux, pour faire tenir ma brosse américaine. Personne n'est coiffé comme ça, autour de moi. Ca me plaît. J'enfile mon jean, un tee-shirt noir, et mes rangers. Les rangers, ça fait loucher les mecs. J'ai l'air d'un facho. Les filles ont peur de moi. Ca tombe bien, j'ai peur d'elles. Je les regarde de loin. L'amour c'est pas pour moi. Je suis une sorte de poète maudit. Comme Maldoror. Ne m'approchez pas. Restez à distance. » Notre jeune narrateur ne cesse de se trouver ridicule et fragile, mais pourtant il est impossible pour le lecteur de se moquer de lui à un seul instant. La sincérité dans la retranscription de cette période que tout le monde a connue apporte une fraîcheur au récit.
Le regard de ce jeune sur la société des années 90 fait sourire et nous ramène nous aussi à nos souvenirs… Mais il y autre chose. Notre adolescent rebelle reste juste dans ses propos, il ne verse pas dans le cliché et laisse juste parler sa jeunesse. Les récits de concerts, de rassemblements étudiants sont racontés d'une manière vivante, et nous nous retrouvons propulsé quelques années en arrière : « Jospin t'es foutu, la jeunesse est dans la rue ! On voit bien qu'on est en France. Même la rage se dit en alexandrins. Jospin c'est ce type coiffé comme
Pierre Richard, mais nettement moins drôle. Il paraît qu'il est ministre et qu'il veut foutre le feu à la fac. Ca mérite une bonne manif. Et puis c'est l'occasion de sécher les cours. » Ce court roman respire la fougue de la jeunesse, mais une autre passion l'anime : la musique…
C'est le témoignage d'une époque que nous avons là, tout du moins par son côté culturel. Des références musicales parsèment le livre : Simple Minds, Depeche Mode, The Cure, les Sex Pistols, les Clash... Notre narrateur est porté vers les sons rock, rudes, mais est à la recherche d'autre chose. Et comme pour le narguer, des airs entrent dans sa petite vie, qui s'échappent, toujours : « C'est quoi ce truc ? C'est trash, mais c‘est pas mal. Quand même, c'est violent, ils passent pas ça d'habitude sur Fun Radio. le refrain est bien. Hé, c'est carrément mélodique pour du métal. Dingue. […] C'était quoi ce groupe ? Ils le disent pas. Dommage. Jamais entendu un truc pareil. » Mais heureusement, les copains sont là pour éclairer sa lanterne et il découvre Nirvana. Ses tubes, le look grunge de Kurt. Smells like teen spirit. Et les paroles en viennent même à rythmer sa vie, l'accompagnent quand il est en cours, avec ses amis. Elles ne cessent de trotter dans sa tête. le jeune est séduit, mais pas au bout de ses surprises devant le talent de Cobain et de sa troupe : « - Merde, c'est Nirvana, ça ?
-Ben oui. Mais en acoustique. T'en penses quoi ? » Ce que j'en pense ? C'est … beau. Cette chanson est magnifique. » C'est sa première écoute de « Polly », « une simple voix posée sur une guitare ». le lecteur fan de Nirvana ne peut s'empêcher de repenser à ses premières écoutes du groupe…
Mais notre adolescent garde son fond rebelle et on ne peut s'empêcher de sourire face à son besoin de « copier » l'image trash de son idole, quand il décide d'écrire sa première chronique : « Il paraît que le chanteur veut casser son image de star. Alors je me suis dit que je pouvais l'aider. Et j'ai écrit ça : Les mythes du rock m'épuisent. Pourquoi Donald Cobain ne s'est pas fait castrer par une scie sauteuse, pourquoi Wendy O'Connor n'a-t-elle pas épousé le gérant du Burger King de Seattle, ça reste un mystère. Toujours est-il qu'un soir où ils n'avaient vraiment que ça à foutre, leur misérable baisouille a engendré la plus ridicule des rock stars :
Kurt Cobain. » Il va ensuite beaucoup plus loin en traitant ses tubes de « musique atroce » avec la suite de sa chronique.
L'ombre de l'adulte qu'est devenu
Olivier Pilarczyk ne peut alors s'empêcher de commenter : « Je relirai ça dans quinze ans. Si ça me fait toujours rire, c'est que je ne suis pas devenu un vieux con. » Rassurez-vous, Olivier, avec une telle fraîcheur dans ce récit, c'est sûr, vous avez bien gardé votre âme d'ado !